ILS VIENNENT MANGER LE PAIN DES FRANÇAIS

Pendant que des milliers d’habitants du sud tentent à tout prix de se réfugier dans le nord, dans nos contrées, des milliers de touristes du nord se pressent pour aller se bronzer dans le sud. Etrange phénomène de vases communicants. Etant entendu que les conditions d’accueil dans le sud sont autrement plus chaleureuses que dans le nord. Et les canots pneumatiques plus sûrs quand ils flottent sur la Méditerranée que dans la mer du Nord. Encore qu’il suffît d’une grève des travailleurs des transports, d’une longue coupure d’électricité ou de retards dans les aéroports pour semer un désordre ravageur pour les touristes égarés qui n’a rien à envier à celui qu’affrontent les immigrés face à la police des étrangers. (Sauf que pour ces derniers, le chaos est permanent et sans espoir). Fallait tout de même contempler l’aéroport de Zurich en début de semaine où des centaines de voyageurs avaient raté leurs connections vers le sud à cause de multiples retards des avions venus du nord, dus à des orages. Ils étaient laissés à l’abandon par les quelques employés de la compagnie aérienne Swiss, complètement dépassés par ce bête événement somme toute banal. Qui, devant les protestations des voyageurs à la dérive, n’ont rien trouvé de mieux que de faire venir la police.

Aucun parti politique du sud n’a encore pensé à faire campagne contre l’arrivée des touristes (et de leurs euros ou dollars) dans leur contrée ensoleillée même si à Venise ou Barcelone, certains y songent sérieusement.
En revanche, sous nos cieux toujours gris, les anathèmes contre les gens du sud sont devenus le meilleur carburant pour booster des partis, des hommes et des femmes politiques, qui n’ont rien d’autre à offrir comme programme. Mais cette haine suffit manifestement à satisfaire de plus en plus d’électeurs. Et porte au pouvoir des gens qui en d’autres temps auraient paru absurdes. De Trump à Meloni et au nouveau président polonais, Karol Nawrocki. En attendant le Vlaams Belang, le Rassemblement national en France ou Chega au Portugal (dont les habitants semblent avoir perdu la mémoire des dizaines d’années sanglantes de la dictature de Salazar et de ses émules).
Même les Pays-Bas, qu’on croyait un modèle de démocratie, se sont laissé emporter par les fantasmes de Geert Wilders, qui désormais fait la pluie et le mauvais temps chez les Bataves. Et qui fait sauter le gouvernement hollandais parce qu’il n’adopte pas, au pas de charge, les mesures délirantes de son programme de campagne contre les étrangers.
Que ceux qui ont peur de la « submersion » découvrent ou récoutent cet ancien sketch de Fernand Raynaud « Je suis douanier mais j’aime pas les étrangers. Ils viennent manger le pain des Français ». Un remède contre la connerie…

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DANS LA PEAU D’UN NOIR

  Comment se glisser dans la peau d’un Noir américain ? Deux romans parus récemment permettent ce tour de passe-passe même à un Belge blanc. Car la littérature explique plus que jamais, plus qu’à d’autres périodes, le monde étrange, nerveux, violent de ce siècle. 

Les multiples tragédies qui ont ensanglanté ces dernières années la communauté noire montrent que, malgré les grandes avancées de l’intégration dans les années soixante, et même depuis le passage d’un président noir dans le bureau ovale, le fossé entre Noirs et Blancs reste profond aux Etats-Unis. C’est un des grands défis qui attend le duo Biden-Harris. 

   Dans « Jazz à l’âme » (éditions Delcourt), William M. Kelley nous entraîne sur les pas d’un petit aveugle devenu musicien de jazz dans l’après-guerre. Un peu avant le début des sixties, où se situait le superbe film de Peter Farrelly il y a deux ans. « Green Book » suivait la tournée d’un pianiste noir réputé et respecté à New York dans le Sud profond où il se heurtait au racisme brut, hôtels et restaus séparés, mépris, violence policière. 

Ludlow, le héros malheureux de Kelley n’a même pas ce vernis. Il est né pauvre, dans le Sud. Il connait ce statut de citoyen de troisième zone. Mais, devenu jazzman reconnu, il découvre que dans le Nord, le racisme est sans doute beaucoup plus hypocrite, plus gris, mais tout aussi profondément enfoui dans la vie quotidienne, la culture américaine. 

L’intrigue du nouveau roman d’Attica Locke « bluebird, bluebird » (éditions Liana Levi) est contemporaine. A l’occasion d’un double meurtre dans une petite ville du Texas d’une femme blanche et d’un homme noir venu du Nord, Attica Locke plonge le lecteur parmi les péquenauds de toutes les couleurs de ce coin de l’est du Texas (voisin de la Louisiane).

 La ligne Mason-Dixon tracée il y a deux cents ans entre les états esclavagistes et ceux du Nord existe toujours, en tout cas dans la tête d’un certain nombre d’habitants du Sud. Ecoutez le Redneck, suspecté par le Ranger (noir) venu enquêter : « Il pensait qu’en dehors du Texas le monde était un cloaque où régnaient la mixité sociale et la confusion sur l’identité des bâtisseurs de ce pays, les négros et les latinos tendant les mains pour mendier, sans fournir une seule journée de travail correct. »

Le portrait du rapport Noir-Blanc dans cette cambrousse du Texas vient compléter celui qu’Attica Locke avait déjà dressé dans ses trois précédents romans, tous admirables (parus chez Gallimard, dont « Marée noire »). Qui ont aussi pour décor, sinon pour personnages, le Texas (Houston dans deux d’entre eux) et la Louisiane (pour le troisième). 

Quand certains affirment de façon péremptoire et agaçante qu’il faut être Noir pour parler de la condition des Noirs, ils n’ont pas toujours tort. La preuve par ces deux romans superbes ! 

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