QUAND LES JEUNES S’EMMÊLENT

chronique
Tendez l’oreille. Je vous parle à mi-voix car j’ai peur qu’« ils » m’entendent et descendent dans la cave où je me suis réfugié pour m’arracher le malheureux croissant à la confiture que j’ai réussi à subtiliser avant de déposer le sac de pâtisseries sur la table.
Depuis que mes enfants ont pris le pouvoir à la maison, c’est l’enfer. On croyait que le pire, c’est qu’ils s’attardent à la maison, tel Tanguy dans le film de Chatiliez. Mais, avec les enfants, il y a toujours pire que le pire. Tenez, tout a commencé avec le football. Le petit avait raté ses examens d’anglais, de math et de géographie (le grand en avait aussi raté quelques-uns mais là, j’y suis habitué avec le temps). J’avais décidé de l’obliger à revoir sa matière dimanche au lieu de regarder le Standard à la télé. Résultat, je me suis retrouvé enfermé dans la salle de bains pendant que j’entendais mugir les supporters de Sclessin (ils ont perdu ce jour-là, bien fait !) J’ai dû faire appel à la voisine pour qu’elle dresse une échelle dans le jardin afin de ne pas passer la nuit dans la baignoire. La fois suivante, j’ai eu droit à une gifle parce que j’avais osé dire que les CD de Madonna, ce serait tellement mieux de les écouter dans leur chambre plutôt que de faire hurler cette pauvre femme dans la salle à manger pendant le journal télévisé. La troisième fois, fini de rire, j’ai décidé de prendre les choses en main sérieusement : j’ai appelé les flics.
Pour le français appuyer sur 1. Pour les papiers d’identité, appuyer sur 1, pour un accident de roulage, appuyer sur 2. Pour… Les enfants, c’était appuyer sur 12. Après une attente de dix minutes, quelqu’un m’a expliqué que le commissariat est fermé après 20 heures parce que la rue est dangereuse. Entre temps, mes deux gamins étaient partis – laissant un mot : « ne nous attends pas ». D’après ma voisine, qui m’a consolé, il y a près de 2.000 plaintes par an de parents contre leurs enfants indisciplinés. Vers trois heures du matin, ils sont montés dans leur chambre, – je les ai sentis à l’odeur. Tenant entre leurs bras une pile haute comme ça de CD et de jeux vidéos. « Pourquoi tu regardes nos CD en tirant cette tête ? Ce sont des copains qui nous les ont prêtés » « Ah oui ? Alors pourquoi ils sont encore sous cellophane ? »
Après ma quinzième plainte, les policiers ont fini par débarquer. Les enfants étaient charmants. Même qu’ils ont offert du café aux flics et un morceau de gâteau (que je réservais à la voisine). Depuis, on a réussi à trouver un modus vivendi : la journée, j’ai droit au salon, le soir, à la cave. Où ils ne viennent jamais me déranger. Promis, juré. A condition que je me taise.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR