CHERE MADAME LA POSTE

chronique
Cher Monsieur, chère amour, cher ou chère receveur des contributions…
Ces formules que notre plume traçait au début des lettres n’avaient plus guère de signification. On les écrivait sans songer à la charge d’émotion qu’elles pouvaient receler si on y avait prêté plus d’attention . Grâce à la poste belge -qui est maintenant danoise si j’ai bien compris-, le mot « cher » va heureusement reprendre tout son sens. Désormais, outre le timbre, il faudra payer pour déposer une lettre à la boîte. Payer pour que le facteur accepte de la relever. Payer encore pour qu’il le fasse le jour même. Et, encore un peu plus pour que la missive soit distribuée. Les Danois, on le sait, ont un grand sens de l’humour. La caricature, voilà un art dans lequel ils sont passés maîtres et dont ils commencent à nous faire profiter.
On comprend la cause de ce soudain besoin d’argent de notre chère poste depuis qu’elle s’est mise à distribuer des kilos de dépliants d’auto-promotion plutôt que des lettres, activité devenue il est vrai un peu ringarde depuis l’arrivée du mail. Avant elle, Belgacom, autre ex-service public (devenu on ne sait quoi) avait, il est vrai, montré l’exemple à grande échelle en jetant l’argent du contribuable par les fenêtres de son somptueux building. Les cadres dynamiques que l’on nomme à la tête de feu nos entreprises publiques ont horreur de la ringardise. Leur credo : changeons tout, surtout ce qui marchait si bien avant nous, pour donner l’impression d’avoir rempli notre contrat.
Dans le même temps, notre chère poste va supprimer ses bureaux (au lieu de faire la file dans un bureau de poste, on le fera au Delhaize, ce sera à peine plus long) mais aussi de nombreuses boîtes rouges et des jours de levées (pardon, il faut dire « redéployer son activité»). Si vous pensez qu’il est paradoxal de supprimer un grand nombre de boîtes postales et en même temps d’augmenter le prix du service, c’est que vous ignorez tout des méthodes modernes de management. Règle élémentaire : raréfier l’offre. Cela aiguise l’appétit du consommateur et justifie le prix qui lui est demandé. Pour dynamiser cette politique, vous verrez bientôt madame la poste organiser des concours : le premier qui trouve la boîte aux lettres d’Auderghem gagne un bon d’achat chez Pizzaland. S’il n’y a pas de gagnant, la pizza est remise en jeu pour la semaine prochaine.
J’ai tort de me lamenter. La conséquence ultime de ce tohu-bohu sera sans doute très positive : grâce à ces extravagances, les vrais passionnés vont peut-être revenir au plaisir perdu d’écrire à la plume une belle lettre sur papier couleur à l’élue de leur cœur. Comment pourra-t-elle résister à un expéditeur qui aura fait tant d’efforts pour la lui faire parvenir ?

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR