LETTRE A MON VOILE

Me seras-tu aussi fidèle pendant l’année nouvelle ? Chaque matin, depuis que mon père t’a donné en cadeau, tu attends mon réveil, nuage noir dans l’obscurité de ma chambre. Dès que je me lève, tu te glisses délicatement autour de mon visage, tu épouses les plis de ma chevelure, tu effaces la forme de mon front (« puissant » comme dit fièrement mon père pour me consoler) mais tu caches aussi la minceur de mon joli cou et ma peau d’ivoire. Tout le reste de la journée, tu me suis, plus attachée à moi que le chien de la voisine (qui préfère les dessous de mes jupes), où que j’aille, quoi que je fasse. Tu refuses même de me quitter quand je me glisse près de Kader – et là, malgré ta discrétion, tu sais que tu me pèses un peu ? Mais que dirait maman et papa si je m’asseyais à la table sans toi ? Et mes frères ? Et les voisins ? Je me suis attachée à toi. J’ai cru ma mère quand elle m’a expliqué que tu effaçais mes défauts. J’ai cru mon père quand il a raconté tu étais le lien avec nos ancêtres qui t’ont porté de génération en génération où que les aient menés leurs pas – ou plutôt où que leurs maris les ont menés. J’ai cru mes frères quand ils ont prétendu que tu étais la preuve de ma dignité, une espèce de médaille qui récompensait ma pudeur et garantissait ma virginité à tout le quartier – Kader, Kader, fais attention ! S’ils te découvraient…
Tu es rassurant et menaçant à la fois comme un garde du corps. Je devrais me sentir fière. Il n’y a que les stars qui se promènent avec un garde du corps. Mais, pourquoi faut-il garder mon corps ? Parfois, je me demande si tu conserves pour toi mes pensées, toi qui passes la journée, juché sur ma tête, à dissimuler ma peau et mes beaux cheveux. L’idée que tu sois capable de lire dans mon cerveau me fait rougir. Kader, si tu savais l’envie qui vient de m’effleurer…
Au fond, m’es-tu aussi fidèle qu’on le dit autour de moi ? Kader, Kader, comme j’aimerais te voir sans témoin, que tu me regardes telle que je suis et pas dans cet uniforme qui fait de moi le clone d’une femme soi-disant idéale. Je souhaiterais que tu aimes mes défauts –mon front- et pas l’image abstraite que je suis obligée de te laisser voir. Je suis différente, Kader. Comme chaque fille au monde est un monde est à elle seule. Tu le saurais sans mon masque…

Pour Leila,

Alain Berenboom

DADOU RON RON RON

Silvio (au médecin): Ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?
Johnny : Dis donc, mon gars, profite pas de ce que j’ai le disque cassé pour me voler mes chansons. Mon chirurgien a essayé ; ça ne lui a pas profité. L’est dans la chambre d’à côté.
Silvio (au médecin) : Si vous pouviez éviter de m’enlever ma vraie dent… (A Johnny) : Ah ! Johnny, ne crains rien. Moi, je respecte les artistes. A peu près tous les artistes. Pas Nanni Moretti, c’est vrai. Pas Roberto Benigni. Pas Adriano Celentano, le « Johnny italien » qu’ils disaient de lui.
Johnny : Tu sais, à l’époque, moi, on m’appelait « l’Elvis français »…
Silvio : Ces gens ne sont pas des artistes. Mais des politiciens, je veux dire des gens médiocres, des envieux. Un artiste n’a pas le droit de se moquer de ceux que le peuple a appelés à leur tête. C’est ce qu’on appelle le devoir de réserve. Je me propose de l’inscrire dans la Constitution.
Johnny : Comme l’interdiction des minarets ?
Silvio : Non, ça c’est en Suisse. A chaque pays, ses petites lois pittoresques. Mais la loi, c’est la loi.
Johnny : J’suis d’accord avec toi. Tu penses bien que j’ vais pas me mettre les Suisses à dos ! Que dirait Laetitia si je l’oblige à déménager dans un pays là oùsque faut payer des impôts ?
Moi, tu vois, je respecte les tas de droits. Regarde Sarkozy. C’est pas moi qui vais le critiquer. Touche pas à mon pote !
Silvio : Ah, bon ? Tou défend même sa campagne pour l’identité française ?
Johnny : Ho ! C’est pas parce que j’suis Belge, amoureux de la musique américaine et citoyen suisse que j’suis pas un vrai Français. Tu me suis ?
Silvio : Bravo ! Pour sceller notre amitié, j’ai oune idée fabuleuse. Puisque tou as abandonné ta petite tournée franco-belge, viens donner ton dernier concert dans le stade de l’A.C. Milan. Oune fête spectaculaire. Hollywood et Cinecitta réunis ! Dis oui et serre la main d’un grand fou !
Johnny : Comment ça le dernier concert ? Pour toi, je ne sais pas, mais pour moi, la vie va commencer.
Silvio (rigolant) : A lire les sondages, pour moi aussi ! Si j’avais su plus tôt qu’il suffit de recevoir dans la gueule pour redevenir l’idole des jeuuunes, j’aurais demandé à Fini ou à Bossi de me faire une grosse tête la veille de chaque élection.
Johnny : Normal, Silvio. Le public veut des légennnndes. A toi, je peux le confier. J’prépare en douce une nouvelle dernière tournée qui va faire un malheur. Quand l’ange de la mort plane au-dessus de la scène, le diable remplit le tiroir-caisse.
Silvio : Je peux réutiliser ta formule ?
Johnny : Ouais. Elle est de mon producteur, Jean-Claude Camus. Même que je me demande pourquoi mon pote Sarkozy a dit qu’il veut mettre ses cendres au Panthéon. Tu crois qu’il essaye de me le piquer ?

Alain Berenboom
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LES SENTIERS DE LA GLOIRE

On ne finira donc jamais de pleurer le départ d’Herman Van Rompuy ? En quelques mois, ce petit homme discret aura réussi à pacifier le pays, faire oublier la crise financière, celle de la planète et, plus fort que tout, l’existence de B.H.V.
Voilà qu’on apprend en plus que nous avons laissé échapper le premier ministre le plus cultivé, poétique et intellectuel de l’après-guerre. A la fois Superman, Brautigan et Robert Aron.
Qu’allons-nous devenir alors que son successeur a choisi plutôt de s’illustrer comme supporter d’une équipe de football en perdition – forcément en perdition?
Imaginons un instant l’histoire inversée : Van Rompuy hantant les travées du Standard en hurlant son amour désespéré des « Rouches » et Yves Leterme discourant sur l’enseignement d’Emmanuel Mounier et des autres « personnalistes » de l’Ordre Nouveau, ces « nouveaux intellectuels » des années trente hésitant entre gauche chrétienne et anti-modernisme réactionnaire ?
Leterme serait-il alors devenu président de l’Europe et Van Rompuy, le Gerald Ford de la politique belge ? Pas sûr…
Notre star politique a eu la prudence de ne pas mettre trop en avant ses goûts philosophiques alors qu’Yveke, qui veut toujours tout faire trop bien, n’aurait pas manqué de souligner son admiration pour Robert Aron et Arnaud Dandieu qui, dans leur livre « Le cancer américain », démolissent le modèle de civilisation nord-américain : « Les Etats-Unis doivent apparaître comme un organisme artificiel et morbide » dont l’esprit souffre « d’une crise de conscience et de virilité ». Ambiance.
A part la référence à la virilité qui devrait l’intéresser, on doute que Sarkozy eût déployé autant d’énergie à soutenir la candidature d’Yveke qu’il a mis à défendre notre discrète éminence.
Yveke n’aurait pas manqué aussi de rappeler, ce que Herman a eu la délicatesse de taire, que ses maîtres, Alexandre Marc ou Robert Aron ont été d’ardents fédéralistes européens. Comme Denis de Rougemont, un des premiers militants de la cause écologiste. Malgré le concert assourdissant de Copenhague, il ne faut pas croire que le message écologique soit plus populaire que le fédéralisme auprès de la plupart des chefs d’états européens.
De son côté, Herman footballeur n’aurait sans doute pas mis le même enthousiasme que notre pauvre Leterme à se faire photographier, revêtu de la défroque des Rouches, entre les frères D’Onofrio et le délicat Axel Witsel. Il aurait attendu la fin de la saison pour décider quelle équipe avait ses préférences.
Ce qui prouve que le véritable maître à penser de notre Herman, quoi qu’il dise, est en fait le roi de Syldavie, Ottokar IV, dont on connaît la devise en forme de haïku : « Eih bennet, eih blavet ».

Alain Berenboom
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TRES GRAND ST-NICOLAS

Tu n’as vraiment pas de chance. D’abord, ta fête tombe systématiquement entre froid, crachin et neige. Et cette année, tu dois en plus te taper le Danemark, où le jour se couche à 15 h 40… Maigre consolation, la plus belle église de la capitale est à ton nom. Si les services de sécurité te laissent passer malgré ton costume de carnaval, le curé de l’endroit ne te refusera certainement pas un bol de soupe bien chaude, en échange de quelques confiseries.
Justement, les cadeaux, parlons-en. C’est le plus difficile, je le sais. Moi aussi, je ne parviens jamais à choisir ce qui fera plaisir aux enfants et qu’ils ne revendront pas illico dès que j’ai le dos tourné.
Rassure-toi, cette fois, le plus gros du boulot est pour ton collègue, le père Fouettard. La liste de ses clients n’a jamais été aussi longue. Tous les pécheurs rassemblés à Copenhague, dans une même salle, ça tombe bien. Il pourra s’en donner à cœur joie et châtier à la chaîne. Wen Jiabao, le premier sinistre chinois, Sarkozy et quelques dizaines d’autres fourbes, venus au chevet de notre climat dans des chambres et des salles surchauffées jurer, la bouche en cul-de-poule, que l’environnement est leur seule préoccupation.
Tu penses comme les puissants de ce monde en ébullition sont chauds à diminuer leurs émissions de carbone ! Un seul a-t-il renoncé à prendre l’avion pour se rendre au sommet sur le climat ? A prendre son vélo entre l’hôtel et la salle du congrès ? A proposer symboliquement un mois sans pétrole pour préparer sa population à la pénurie de la fin de l’or noir ?
Quelqu’un a-t-il déjà calculé le taux de CO 2 dégagé par les déplacements de ces excellences, des journalistes, flics, espions, écologistes de tous poils et leurs invités ? Et des 4×4 et autres véhicules blindés dans lesquels tout ce beau monde va se promener ? Pour ces quelques jours de fiesta ecolo, le Danemark peut racheter les certificats de pollution de tous les pays d’Afrique afin de compenser l’explosion de ses quota.
Et toi, que peux-tu bien offrir à tous ces grands enfants gâtés qui exhibent fièrement leurs cellulaires de la dernière génération, leurs portables et autres gadgets électroniques, tous excellents consommateurs d’énergie ? Oublie le DVD du film d’Al Gore. Ils en ont déjà reçu chacun sept cents exemplaires. Que reste-t-il qui ne soit pas du réchauffé ?
Une visite à la petite sirène, pudiquement revêtue d’un maillot à la gloire de la conférence pour admirer insidieusement sa belle poitrine sous son tee-shirt mouillé ? Des jouets en bois ? Des petits flingues ou, mieux, des fusils de la F.N. La Belgique a justement sur les bras un stock initialement destiné, quelle coïncidence, à un roi du pétrole.

Alain berenboom
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COMA

Comment ne pas être hanté par le sort de Rom Houben, cet homme flottant depuis un terrible accident dans les eaux du Styx, entre mort et vie ? Tous le croyaient perdu dans un coma profond depuis vingt-trois ans alors qu’il assistait, impuissant et muet, au ballet des visiteurs autour de son lit sans pouvoir les prendre dans ses bras ou esquisser le moindre signe.
Il existe sans doute d’autres cas de faux morts, d’êtres humains trop vite enterrés mais qui bougent toujours à notre insu.
Wilfried Martens, par exemple, mort en 1992, vient soudain de jaillir de sa sépulture dans une telle forme que certains observateurs ont cru, dans un moment de stupeur, à un gouvernement Martens 10.
S’il est finalement reparti, il a laissé deux autres zombies de la politique, telle des bombes antipersonnel abandonnées sur le rivage, agiter le panier à crabes belge, Jean-Luc Dehaene et son vieux copain de seniorie, Philippe Moureaux.
Dans la foulée, ne verra-t-on pas d’autres anciens ministres de Martens réapparaître à leur tour ? Qui sait si Alain Van der Biest, le vrai-faux assassin d’André Cools, n’est pas plongé lui aussi dans un mystérieux coma artificiel où il suit, parfaitement conscient, les enfants du maître de Flemalle se disputer l’héritage et ceux qui connaissent le véritable nom du commanditaire du crime se frotter les mains depuis que l’affaire est morte et enterrée?
Autre oubliée dans un caveau du C.H.U. de Huy, Anne-Marie Lizin, éphémère secrétaire d’état à l’Europe, pourrait aussi reprendre vie si Leterme passant dans le coin (on n’est pas loin du stade du Standard) se livrait à un petit bouche à bouche régénérateur. Avec elle à la manœuvre, les problèmes communautaires seraient réglés en quelques coups d’accélérateurs. Un coup sur l’aile droite, un autre sur l’aile gauche. Et s’il reste des survivants, ils seront bien trop sonnés après le passage du bolide pour encore oser bouger le petit doigt. Méfions-nous ! Depuis la Twilight saga, les vampires ont la cote !
Mine de rien, on rêve tous à la résurrection des zombies. Et si Gandhi revenait soudain et proposait un traitement zen de BHV ? Un Gordel zen avec ses disciples tournant sans arrêt autour de Bruxelles, revêtus du dhotî et chaussés de sandales, jusqu’à ce que les braillards de tout poils se taisent enfin. Quoique… La situation du sous-continent indien, où s’agitent le plus grand nombre de fou furieux au km², fait penser que même Leterme a peut-être plus de talent politique que le mahatma.

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BLANCHE JOELLE ET LES SEPT NAINS

C’est l’histoire d’une gentille fille qui a fui son horrible belle-mère et s’est réfugiée dans une cabane où habitent sept gentils nains travailleurs.
Version moderne, la belle mère est un homme, Yvetje Letermeke qui veut forcer la pov’ Joëlle à manger une pomme empoisonnée (d’une variété appelée BHV, la plus subventionnée de toutes les cultures.)
Voilà donc Joëlle fuyant Letermeke dans la grande forêt où elle tombe chez des petits êtres plus humanistes – c’est du moins ce qu’elle le croyait mais elle s’est vite rendu compte que les braves nains lui laisse le sale boulot.
Or, la gentille Joëlle, elle en a marre de faire la vaisselle et la lessive, de ramasser chaussettes et caleçons, d’apprendre aux nains à lire et à compter et de leur lire des petites histoires avant de s’endormir (celles d’oncle Herman pour les bercer ou celles de l’affreux Yvetje pour leur faire peur). Bref, d’être au four et au moulin pendant que les nains passent tranquillement leur journée à siffler en travaillant, tralalala, siffler en travaillant.
Alors, un jour, elle propose que l’un des nains reprenne le boulot, la vaisselle et le reste et moi, c’est bien mon tour, je vais siffler en travaillant, lalala.
Oh ! Mais les gentils nains, ils se rebiffent. La vaisselle, les chaussettes, c’est l’affaire des gentilles filles. Et siffler en travaillant, c’est réservé aux nains. C’est le bon Dieu qui l’a dit. Et le bon Dieu, même si les nains l’ont caché dans un placard de leur cabane, il est toujours là à veiller sur eux et à intervenir quand il le faut.
Joëlle n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds et elle insiste. Elle propose qu’on tire au sort. Timide, Prof, Grincheux, Atchoum, Simplet, Joyeux ou Dormeur. Lequel va lui succéder ?
Le hasard tombe d’abord sur Atchoum. Mais, avec l’épidémie de grippe, mieux vaut éviter qu’il prépare les repas. Puis, sur Grincheux. Tous les nains se récrient, pas lui ! Prof ? S’il devient chef, il passera la journée à faire la leçon aux autres, non merci ! Simplet ? Les géants de la forêt, le terrible Didgé, le fourbe Elio ou le mielleux Jean-Mi auront vite fait de lui arracher les clés de la maison et tout ce qu’elle contient. Même chose pour Dormeur et Joyeux, toujours trop bonasse. Reste Timide. C’est le meilleur, disons le moins mauvais. Mais il résiste. J’ose pas, j’sais pas parler, j’sais pas lire, j’ai peur des méchants Flamoutches, de l’affreux Yvetje, de Dieu dans le placard et des géants.
Ca va, j’ai compris ! a dit Joëlle.
Elle a repris son torchon, mis en route la machine à laver le linge, empoigné les casseroles et ramassé les chaussettes. Pendant ce temps, les p’tis nains sont partis en sifflotant, tralala.

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UNE ANNEE SANS

Le 1 er novembre, on sonne à la porte. Je prépare les bonbons et les chocolats. Surprise ! Sur le seuil, au lieu des enfants venus fêter Halloween, je trouve un bonhomme qui distribue de la pub pour Saint Nicolas. Et voilà que mon journal fait depuis la semaine dernière la pub pour Noël ! Le champagne moins cher et les boules en promo à condition de les acheter dès aujourd’hui ! Noël en novembre, printemps en décembre.
Je vois déjà ce que proposera mon pâtissier pendant la trêve des confiseurs : des œufs en chocolat. Et en janvier, les syndicats annonceront le défilé de la fête du travail. Le muguet sera un peu cher mais, quand on aime, on ne compte pas ! La règle désormais est de s’y prendre à temps, principe de précaution oblige. Ainsi, le socialiste français Manuel Valls a eu l’idée de doubler tous les autres prétendants de son parti en laissant entendre qu’il est prêt à disputer la présidence de la république … de 2017.
D’accord, c’est la crise, il faut que les commerçants commercent, que les fabricants fabriquent et que l’état ratisse de plus en plus de taxes vu que le trou des finances est si grand que la Belgique risque de s’y perdre à moins que la commission européenne ne la jette dans le vide. Mais pour nous aussi, messieurs-dames ministres, boutiquiers et industriels, c’est la crise. Alors, rêvons un peu. A une année sans…
On a réussi le dimanche sans auto, au point que les amateurs d’air frais en réclament la multiplication. Les restos sans cigarettes, ce qui paraissait extravagant il y a quelques années. Et les opérations sans bistouri qui permettent la réfection de nos organes grâce à un simple rayon.
Alors, pourquoi ne pas tenter une année sans fête, sans cadeau, sans congé et sans pub ?
Vous grimacez ? Vous pensez à tous ces petits présents, aux verres de l’amitié et autres festivités que vous aimez tant ?
D’un autre côté, songez à votre portefeuille et, au diable l’avarice, à ce que l’état va épargner (plus de petit vin d’honneur, de cocktails au champagne, de voyages internationaux, de cadeaux tout au long de l’année sous mille prétextes, de dons à des chefs d’état étrangers farfelus, de consulats à des copains du ministre, de rapports coûteux sur l’effet des congés sur la productivité, etc). Bref, cette année-là, plus besoin d’impôt !
Une année sans, ce sera une année sans déclaration fiscale, sans bousculade dans les magasins la veille des jours fatidiques, sans enfants mécontents du cadeau qu’ils n’ont pas demandé, sans sourires hypocrites devant le paquet qu’on va s’empresser de revendre, sans gaz, sans électricité et sans culotte. Une année sans culotte ? Mais, c’est Noël !

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CHAOS OU K.O. ?

Monsieur Van Rompuy à l’Europe et la planète Belgique est bouleversée ? Allons ! Qui, il y a quelques mois, se rappelait même de cet ancien ministre de Jean-Luc Dehaene ? On le disait triste, chafouin, sans charisme et maintenant, le monde nous l’envie. A quoi tient le charme en politique ? De toute façon, les cimetières de l’histoire belge sont remplis de premiers ministres irremplaçables. Désormais, en politique, c’est comme au cinéma et en musique. Un homme (ou une femme) qui ne collait pas hier à la fonction ou qui avait sombré dans l’oubli et le désamour peut faire son grand retour et dynamiter l’audimat. Mickey Rourke ressuscité par The Wrestler comme jadis Jerry Lewis par Scorsese et Kusturica ou Charles Trenet par Higelin.
Alors, après le départ d’Herman, qui va renaître de ses cendres ? Yves Leterme, qui puise ses gags auprès du burlesque Jerry Lewis ? Ou Didier Reynders, catégorie lutteurs désespérés façon Mickey Rourke ?
Yves Leterme, on ne s’en est pas assez aperçu, est le reflet parfait de notre époque. Comme disent les ados il est « destroy de chez destroy ». L’image même du chaos. Contrairement à ce qu’il pense, le ministère des affaires étrangères lui colle admirablement à la peau. Personne n’incarne mieux que lui la situation internationale. Dès qu’il ouvre la bouche, on a l’impression d’entendre une bombe exploser et dévaster les environs sans raison apparente. C’est ce qu’il peut apporter de mieux en prenant la tête du gouvernement : un électro-choc permanent dans un pays que Van Rompuy a réussi à assoupir, selon les sages méthodes du bon vieux CVP.
Avec Didier Reynders, c’est un autre type de chaos qui se prépare : le K.O. debout.
Avec tous les coups qu’il a pris ces derniers mois, le rôle de Mickey Rourke lui va comme un gant – de boxe. Sonné au premier round, il s’accroche et se relève juste avant la fin du décompte fatidique. Aussitôt, il reçoit un uppercut puis un gauche qu’il pare mollement en se tenant le plexus solaire. Même son entraîneur lui file un coup de boule. Que les coups viennent de l’adversaire ou de son équipe, pas de problème, il pare toujours et reste sur ses jambes jusqu’au dernier coup de gong.
Entre ces deux stars de notre temps, on peut hésiter. De quoi a besoin la Belgique ? De se tordre de rire ou de recevoir un bon coup de boule ? Des deux peut-être ? Alors, si une fois de plus, nous innovions sur le plan institutionnel ? En nommant deux premiers ministres. Ou trois ou cinq, qui gouverneraient tous ensemble, chacun avec son fichu caractère. Il y en aurait bien un de temps en temps qui ferait tourner le bazar.

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DE LA DAME DE FER A LA DAME EN PLAVSIC

En d’autres circonstances, j’aurais pu la croiser au GB. On aurait parlé de petits pois ou d’épinards. Vous avez essayé la nouvelle préparation avec du mascapone ? Formidable ! Du fer plus de la mascarpone, on se sent plus fort que Popeye ! Justement, on l’avait surnommée la dame de fer, cette bonne dame, Biljana Plavsic, à l’époque où elle était l’homme de main de Radovan Karadzic avant de lui succéder à la présidence, sur la pression des Occidentaux. En récompense de quoi ? Entre 1992 et 1995 la guerre civile de Bosnie Herzégovine a laissé cent mille morts sur le carreau.
A l’époque, madame Plavsic disait que le « nettoyage ethnique des non Serbes est un phénomène naturel et non un crime de guerre ». Elle disait aussi que si six millions de Serbes doivent succomber dans cette lutte, il en restera toujours six millions pour cueillir les fruits de la lutte. En entendant ça, Milosevic s’était écrié que madame Plavsic « est bonne pour l’hôpital ». Un fin connaisseur, cet homme-là.
Donc, cette brave mémère s’est retrouvée en 1996 présidente des Serbes de Bosnie avec l’appui de nos gouvernements. Paraît qu’elle était moins pire que les autres. Disons que cette femme folle de pouvoir avait tourné casaque et promis, une fois devenue chef, de calmer les ardeurs de ses troupes après avoir contribué aux épouvantables massacres des citoyens de son propre pays et la mise en pièces de Sarajevo (là même où elle enseignait jadis la biologie, c’est-à-dire la science qui traite des manifestations de la vie).
L’avait bien joué la dame de fer, en pariant sur les Occidentaux, toujours si prompts à tout pardonner, plutôt que sur ses anciens mentors. Après s’être livrée au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou en échange de son arrivée à La Haye), elle a obtenu du procureur l’abandon des poursuites du chef de génocide, d’extermination et de meurtre. Cela ne signifie pas que ce monstre est innocent mais que juridiquement, on acceptait de fermer les yeux sur ses crimes les plus atroces.
Condamnée à onze ans de prison du chef de persécution pour motifs politiques, raciaux ou religieux, voilà qu’elle vient d’être libérée aux deux tiers de sa peine pour bonne conduite.
Parions qu’Hitler se serait aussi très bien conduit en prison. N’aurait jamais gazé un seul de ses gardiens, ni exterminé leur race. Elle est de la même famille, la mère Plavsic. Faut dire que les Suédois ont fait attention de ne pas introduire dans sa prison de gardiens bosniaques. On appelle ça, non pas du nettoyage ethnique mais de la prudence élémentaire.
Prudence, le maître mot (le seul mot) de la politique étrangère européenne.

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PAYSAGE AVEC LA CHUTE D’ICARE

« Paysage avec la chute d’Icare » est le titre d’un célèbre tableau de Breughel. (C’est aussi le titre sous lequel Pierre Mertens vient de regrouper en un seul volume ses deux premiers romans et ses nouvelles qui forment une étonnante et magique continuité.)
Rappelez-vous la scène immortalisée par Breughel. Tout semble d’une extraordinaire sérénité. Un cultivateur trace son sillon, penché sur sa charrue. Un gardien de moutons médite au milieu de ses bêtes. En contrebas, sur la mer, vogue joyeusement un navire. Il faut être très attentif pour repérer un détail minuscule, les jambes d’un type en train de couler. Les autres personnages lui tournent le dos. Personne n’a compris l’événement qui vient de se produire : la chute d’Icare. Un détail dans le paysage.
Comment ne pas penser à cette scène à propos de la mort du cycliste Frank Vandenbroucke ? Deux saisons de rêve l’ont fait planer (Liège-Bastogne-Liège, Paris-Nice) avant la chute, les ailes brûlées par le soleil.
Son destin évoque à la fois à la figure mythique de la légende grecque immortalisée par le grand peintre bruxellois et la saga pathétique du Belge moyen, telle que l’incarne souvent à l’écran Benoît Poelvoorde.
Tout chez V.D.B. a toujours oscillé entre ces deux pôles.
Déjà ce terrible diminutif. Auparavant celui d’un politicien lui aussi flamboyant mais qu’on accusait d’avoir fait flamber l’argent du contribuable plutôt que la fortune du pays.
A ses meilleurs moments, les débuts de V.D.B. rappelaient ceux de Merckx : une aisance stupéfiante (l’adjectif s’est hélas vite imposé), la grâce d’une danseuse lorsqu’il gravissait les cols. A la fin, il suppliait qu’on l’accepte dans des courses de kermesses ou s’inscrivait sous un faux nom dans des courses d’amateur. Juste pour assouvir sa soif de pousser sur les pédales et de rester dans la compétition. Cette obstination à s’accrocher aux portes du paradis, à les secouer, était admirable, poétique et désespérée. Le camion-balai était passé depuis longtemps mais Frank avait refusé d’y monter, préférant terminer la course à pieds, à des années lumière de ceux qu’autrefois il coiffait sur la ligne. Jamais renoncer.
Mais, comme chez Breughel, sa chute s’inscrit dans un paysage faussement serein. Car, ce qui a fait tomber VDB avait achevé avant lui notamment Pantani, Landis ou un autre de nos champions pathétiques, Michel Pollentier, qui était déjà un brouillon du pauvre Frank. Annonçant peut-être la disparition d’un sport qui n’est plus qu’un lamentable spectacle de course poursuite entre médecins fous et policiers, entre seringues et bouquets de fleurs. Pourtant, qu’est-ce qu’il a nous a fait rêver !

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