LES ROIS E-MAGES

Au temps où la télé règne sur nos consciences et nos intelligences, faut-il regretter d’être privé de l’essentiel des images de la guerre entre Israël et le Hamas ? Protester parce qu’un rideau de plomb (durci) occulte le champ de bataille ?
Jonathan Coe, dont le fabuleux roman « Testament à l’Anglaise » traçait le portrait ravageur et impitoyable de l’Angleterre thatchérienne vient de reconnaître dans une interview au Magazine littéraire l’échec du projet politique de son livre et sa désillusion sur le pouvoir de l’écrivain : « En écrivant ce livre, je pensais inconsciemment que tous mes lecteurs se rangeraient à mon point de vue. J’ai depuis compris le caractère illusoire de ce présupposé. Le lecteur résiste toujours à ces tentatives de conversion ».
En est-il de même de l’image ?
Dès le début du cinéma, la propagande s’est emparée des écrans. Mais, Eisenstein, malgré l’extraordinaire puissance des ses gros plans et de ses travellings, a-t-il entraîné un seul spectateur réticent à adhérer à la cause communiste. Et s’est-il trouvé beaucoup de citoyens pour descendre dans la rue et huer Daladier ou Chamberlain, rentrant de Munich où ils avaient signé un pacte stupide avec le diable, alors que les actualités montraient tous les jours que l’homme avec lequel ils avaient fait ami-ami était décidé de rayer la race humaine de la terre ?
Que savons-nous vraiment de la guerre, de ce qui se passe au front ? Les images les plus atroces de la seconde guerre mondiale sont sorties après la fin des hostilités. De la première guerre mondiale, il n’y a pratiquement pas d’images des assauts meurtriers et des preuves enregistrées de l’imbécillité de ceux qui l’ont menée. Tout a changé ? Qu’a-t-on vu des massacres de Tchétchènie et du Congo, des génocides du Cambodge et du Rwanda. Et même de la guerre d’Irak, où les journalistes avaient été instrumentalisés. Et il y a bien d’autres explications que le formidable travail des cameramen pour le retournement (tardif) de l’opinion publique américaine sur la guerre du Vietnam. Une image, c’est vrai, peut électriser l’opinion publique : le premier drapeau hissé par les troupes soviétiques à Berlin (pure mise en scène), celui des Américains à Iwo Jima (Clint Eastwood a montré l’instrumentalisation du cliché), le massacre de Timisoara qui justifiait l’exécution de Ceausescu (un faux).
Que nous montrerait les images de Gaza que ce que nous savons déjà, haine, misère, souffrance ? Et intolérance dans les deux camps ? Il y a un danger de se laisser fasciner par l’image, de ne s’en tenir qu’à la « force » de l’image et de perdre toute faculté d’analyse, de raisonnement.
Mais, dans l’état actuel des choses, me direz-vous, à quoi sert le raisonnement quand tout semble perdu pour tous les acteurs du drame ?

Alain Berenboom
www.berenboom.com