LE PRINCE DE TWITTER

Avec l’apparition de l’e-mail, je me suis dit : chouette, le grand retour de l’écrit ! J’ai rêvé à l’épanouissement grâce au web de millions de nouveaux Dostoïevski, de Kafka et de Tolstoï, libres de toute contrainte, défiant la censure, se passant de papier, de crayons et surtout d’éditeurs et s’adressant directement à leurs lecteurs. Et dans la foulée, à la réapparition de genres presque disparus : le feuilleton puisque le mail permet de fabriquer de nouveaux épisodes plus vite qu’on ne les écrit ou des romans épistolaires. Des Alexandre Dumas en herbe et des sémillantes dames de Sévigné d’aujourd’hui.
Mais, bientôt, MSM a pris le relais. Avec son dialogue permanent. Bon, pourquoi pas ? Oublions les nouveaux romanciers ! Et place à une nouvelle génération d’auteurs dramatiques, de dialoguistes, libérés des contraintes surannées du théâtre. L’absurde des conversations sur MSN annonçait de dignes enfants d’Ionesco et le glauque des propos des héritiers de Beckett.
Mais, las. Le babil sans fin a aussi fait long feu. Pour laisser la place aux gazouillis (tweets) et au règne de Twitter.
140 caractères, un peu moins de deux phrases à condition qu’elles ne soient pas de Marcel Proust.
Question longueur, on est passé des « Trois Mousquetaires » aux slogans des partis politiques belges sur les affiches électorales…
Et question style, quel défi ! Allez créer une œuvre immortelle en cent quarante caractères, pas une virgule de plus.
Raymond Devos, décidément visionnaire, l’avait relevé avec son mini-sketch « Se coucher tard… nuit ! »
Peut-on faire mieux ? Ce sera difficile.
« Il est terrible
Le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
Il est terrible ce bruit
Quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim »
(Jacques Prévert, Paroles, Gallimard)
Trop long ! Twitter n’acceptera sa transmission que si on sucre l’homme qui a faim. Tout un symbole…
Twitter n’accoucherait-il même pas d’un poète ? Faudrait qu’il soit particulièrement laconique, zen. Comme si le nouvel instrument que le diable technologie nous a apporté ne servait que la gloire des créateurs d’haikus.
« Trois vagues déferlent / abordant ensemble au port / Le trio est rentré »
Herman Van Rompuy, le président-pouet-pouet belgo-européen, a gagné : moins de 80 caractères !
Son œuvre aussi brève que les points d’accords entre négociateurs flamands et francophones, aussi concise qu’une interview de Johan Vande Lanotte est écrite pour Twitter.
Van Rompuy, voilà donc le modèle du créateur de demain ?
Comme il a été l’exemple parfait (et regretté) du politicien qui nous manque tant aujourd’hui.
Ne disant rien ou si peu que tous peuvent croire qu’il leur a donné raison.

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