HISTOIRES DE BELGIQUE

chronique
Le Sénat a présenté en grande pompe il y a quelques jours le rapport qu’il avait commandé à un centre d’études historiques sur la responsabilité des autorités belges dans la persécution des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale.
A part quelques négationnistes nébuleux, tout le monde a salué le travail de ces éminents historiens sur la « docilité » (selon le vocabulaire utilisé) de trop de décideurs et d’administrations, de magistrats et fonctionnaires supérieurs ainsi que des dirigeants des ordres professionnels, notamment des avocats, à l’égard des autorités d’occupation. Il est à l’honneur de l’actuel Premier ministre, Guy Verhofstadt, d’avoir reconnu la responsabilité de la Belgique lors de sa visite au mémorial Yad Vashem à Jérusalem en mars 2005 – à l’instar de Jacques Chirac qui avait reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’D’Hiv’, ce que son prédécesseur, le très ambigu François Mitterrand, avait toujours refusé.
Les media ont mis en avant les graves défaillances de nos principaux responsables, leur collaboration parfois passive, parfois active, dans la déportation. Mais ils ont à peine évoqué l’autre Belgique. Notre pays n’a pas seulement rassemblé des résistants de la dernière heure, des collaborateurs et des responsables dociles ou lâches.
Mes parents vivaient à Bruxelles pendant la guerre. Ils ont échappé à l’arrestation, à la déportation, à la mort, grâce à l’assistance de voisins et d’amis de leurs voisins. Juste des gens révoltés par l’injustice. Ils m’ont raconté le courage des policiers de Schaerbeek qui les ont aidés, cachés, qui leur ont fabriqué de faux papiers. Du rôle d’Isabelle Blum, députée socialiste, qui les a cachés chez elle au péril de sa vie et celle de sa famille.
Leur désespoir devant l’écrasement des Alliés et le resserrement de l’étau nazi a été tempéré par des actes spectaculaires qui ont ranimé la flamme de la population, fait renaître l’espoir : la proclamation du bourgmestre de Bruxelles, Joseph Van de Meulebroeck en 1941, le raid de Selys-Longchamp sur l’immeuble de la Gestapo avenue Louise, la publication du faux « Soir », par exemple.
Ces souvenirs personnels, partiels, déformés, ont nourri mon appartenance à la Belgique bien plus profondément qu’un rapport officiel publié avec soixante ans de retard. Les « petites histoires » construisent la « grande histoire » autant que les documents et les analyses scientifiques. Et ils éclairent mieux les jeunes générations que les condamnations (on a vu les limites du procès Papon.) La vérité historique se prête mal à être figé dans des textes officiels, des jugements. Souvent, le témoignage personnel tamise l’histoire, apporte les nuances, les ombres qui l’empêchent de se momifier.

Alain Berenboom
www.berenboom.com