BLANCHE JOELLE ET LES SEPT NAINS

C’est l’histoire d’une gentille fille qui a fui son horrible belle-mère et s’est réfugiée dans une cabane où habitent sept gentils nains travailleurs.
Version moderne, la belle mère est un homme, Yvetje Letermeke qui veut forcer la pov’ Joëlle à manger une pomme empoisonnée (d’une variété appelée BHV, la plus subventionnée de toutes les cultures.)
Voilà donc Joëlle fuyant Letermeke dans la grande forêt où elle tombe chez des petits êtres plus humanistes – c’est du moins ce qu’elle le croyait mais elle s’est vite rendu compte que les braves nains lui laisse le sale boulot.
Or, la gentille Joëlle, elle en a marre de faire la vaisselle et la lessive, de ramasser chaussettes et caleçons, d’apprendre aux nains à lire et à compter et de leur lire des petites histoires avant de s’endormir (celles d’oncle Herman pour les bercer ou celles de l’affreux Yvetje pour leur faire peur). Bref, d’être au four et au moulin pendant que les nains passent tranquillement leur journée à siffler en travaillant, tralalala, siffler en travaillant.
Alors, un jour, elle propose que l’un des nains reprenne le boulot, la vaisselle et le reste et moi, c’est bien mon tour, je vais siffler en travaillant, lalala.
Oh ! Mais les gentils nains, ils se rebiffent. La vaisselle, les chaussettes, c’est l’affaire des gentilles filles. Et siffler en travaillant, c’est réservé aux nains. C’est le bon Dieu qui l’a dit. Et le bon Dieu, même si les nains l’ont caché dans un placard de leur cabane, il est toujours là à veiller sur eux et à intervenir quand il le faut.
Joëlle n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds et elle insiste. Elle propose qu’on tire au sort. Timide, Prof, Grincheux, Atchoum, Simplet, Joyeux ou Dormeur. Lequel va lui succéder ?
Le hasard tombe d’abord sur Atchoum. Mais, avec l’épidémie de grippe, mieux vaut éviter qu’il prépare les repas. Puis, sur Grincheux. Tous les nains se récrient, pas lui ! Prof ? S’il devient chef, il passera la journée à faire la leçon aux autres, non merci ! Simplet ? Les géants de la forêt, le terrible Didgé, le fourbe Elio ou le mielleux Jean-Mi auront vite fait de lui arracher les clés de la maison et tout ce qu’elle contient. Même chose pour Dormeur et Joyeux, toujours trop bonasse. Reste Timide. C’est le meilleur, disons le moins mauvais. Mais il résiste. J’ose pas, j’sais pas parler, j’sais pas lire, j’ai peur des méchants Flamoutches, de l’affreux Yvetje, de Dieu dans le placard et des géants.
Ca va, j’ai compris ! a dit Joëlle.
Elle a repris son torchon, mis en route la machine à laver le linge, empoigné les casseroles et ramassé les chaussettes. Pendant ce temps, les p’tis nains sont partis en sifflotant, tralala.

www.berenboom.com

UNE ANNEE SANS

Le 1 er novembre, on sonne à la porte. Je prépare les bonbons et les chocolats. Surprise ! Sur le seuil, au lieu des enfants venus fêter Halloween, je trouve un bonhomme qui distribue de la pub pour Saint Nicolas. Et voilà que mon journal fait depuis la semaine dernière la pub pour Noël ! Le champagne moins cher et les boules en promo à condition de les acheter dès aujourd’hui ! Noël en novembre, printemps en décembre.
Je vois déjà ce que proposera mon pâtissier pendant la trêve des confiseurs : des œufs en chocolat. Et en janvier, les syndicats annonceront le défilé de la fête du travail. Le muguet sera un peu cher mais, quand on aime, on ne compte pas ! La règle désormais est de s’y prendre à temps, principe de précaution oblige. Ainsi, le socialiste français Manuel Valls a eu l’idée de doubler tous les autres prétendants de son parti en laissant entendre qu’il est prêt à disputer la présidence de la république … de 2017.
D’accord, c’est la crise, il faut que les commerçants commercent, que les fabricants fabriquent et que l’état ratisse de plus en plus de taxes vu que le trou des finances est si grand que la Belgique risque de s’y perdre à moins que la commission européenne ne la jette dans le vide. Mais pour nous aussi, messieurs-dames ministres, boutiquiers et industriels, c’est la crise. Alors, rêvons un peu. A une année sans…
On a réussi le dimanche sans auto, au point que les amateurs d’air frais en réclament la multiplication. Les restos sans cigarettes, ce qui paraissait extravagant il y a quelques années. Et les opérations sans bistouri qui permettent la réfection de nos organes grâce à un simple rayon.
Alors, pourquoi ne pas tenter une année sans fête, sans cadeau, sans congé et sans pub ?
Vous grimacez ? Vous pensez à tous ces petits présents, aux verres de l’amitié et autres festivités que vous aimez tant ?
D’un autre côté, songez à votre portefeuille et, au diable l’avarice, à ce que l’état va épargner (plus de petit vin d’honneur, de cocktails au champagne, de voyages internationaux, de cadeaux tout au long de l’année sous mille prétextes, de dons à des chefs d’état étrangers farfelus, de consulats à des copains du ministre, de rapports coûteux sur l’effet des congés sur la productivité, etc). Bref, cette année-là, plus besoin d’impôt !
Une année sans, ce sera une année sans déclaration fiscale, sans bousculade dans les magasins la veille des jours fatidiques, sans enfants mécontents du cadeau qu’ils n’ont pas demandé, sans sourires hypocrites devant le paquet qu’on va s’empresser de revendre, sans gaz, sans électricité et sans culotte. Une année sans culotte ? Mais, c’est Noël !

www.berenboom.com

CHAOS OU K.O. ?

Monsieur Van Rompuy à l’Europe et la planète Belgique est bouleversée ? Allons ! Qui, il y a quelques mois, se rappelait même de cet ancien ministre de Jean-Luc Dehaene ? On le disait triste, chafouin, sans charisme et maintenant, le monde nous l’envie. A quoi tient le charme en politique ? De toute façon, les cimetières de l’histoire belge sont remplis de premiers ministres irremplaçables. Désormais, en politique, c’est comme au cinéma et en musique. Un homme (ou une femme) qui ne collait pas hier à la fonction ou qui avait sombré dans l’oubli et le désamour peut faire son grand retour et dynamiter l’audimat. Mickey Rourke ressuscité par The Wrestler comme jadis Jerry Lewis par Scorsese et Kusturica ou Charles Trenet par Higelin.
Alors, après le départ d’Herman, qui va renaître de ses cendres ? Yves Leterme, qui puise ses gags auprès du burlesque Jerry Lewis ? Ou Didier Reynders, catégorie lutteurs désespérés façon Mickey Rourke ?
Yves Leterme, on ne s’en est pas assez aperçu, est le reflet parfait de notre époque. Comme disent les ados il est « destroy de chez destroy ». L’image même du chaos. Contrairement à ce qu’il pense, le ministère des affaires étrangères lui colle admirablement à la peau. Personne n’incarne mieux que lui la situation internationale. Dès qu’il ouvre la bouche, on a l’impression d’entendre une bombe exploser et dévaster les environs sans raison apparente. C’est ce qu’il peut apporter de mieux en prenant la tête du gouvernement : un électro-choc permanent dans un pays que Van Rompuy a réussi à assoupir, selon les sages méthodes du bon vieux CVP.
Avec Didier Reynders, c’est un autre type de chaos qui se prépare : le K.O. debout.
Avec tous les coups qu’il a pris ces derniers mois, le rôle de Mickey Rourke lui va comme un gant – de boxe. Sonné au premier round, il s’accroche et se relève juste avant la fin du décompte fatidique. Aussitôt, il reçoit un uppercut puis un gauche qu’il pare mollement en se tenant le plexus solaire. Même son entraîneur lui file un coup de boule. Que les coups viennent de l’adversaire ou de son équipe, pas de problème, il pare toujours et reste sur ses jambes jusqu’au dernier coup de gong.
Entre ces deux stars de notre temps, on peut hésiter. De quoi a besoin la Belgique ? De se tordre de rire ou de recevoir un bon coup de boule ? Des deux peut-être ? Alors, si une fois de plus, nous innovions sur le plan institutionnel ? En nommant deux premiers ministres. Ou trois ou cinq, qui gouverneraient tous ensemble, chacun avec son fichu caractère. Il y en aurait bien un de temps en temps qui ferait tourner le bazar.

www.berenboom.com

DE LA DAME DE FER A LA DAME EN PLAVSIC

En d’autres circonstances, j’aurais pu la croiser au GB. On aurait parlé de petits pois ou d’épinards. Vous avez essayé la nouvelle préparation avec du mascapone ? Formidable ! Du fer plus de la mascarpone, on se sent plus fort que Popeye ! Justement, on l’avait surnommée la dame de fer, cette bonne dame, Biljana Plavsic, à l’époque où elle était l’homme de main de Radovan Karadzic avant de lui succéder à la présidence, sur la pression des Occidentaux. En récompense de quoi ? Entre 1992 et 1995 la guerre civile de Bosnie Herzégovine a laissé cent mille morts sur le carreau.
A l’époque, madame Plavsic disait que le « nettoyage ethnique des non Serbes est un phénomène naturel et non un crime de guerre ». Elle disait aussi que si six millions de Serbes doivent succomber dans cette lutte, il en restera toujours six millions pour cueillir les fruits de la lutte. En entendant ça, Milosevic s’était écrié que madame Plavsic « est bonne pour l’hôpital ». Un fin connaisseur, cet homme-là.
Donc, cette brave mémère s’est retrouvée en 1996 présidente des Serbes de Bosnie avec l’appui de nos gouvernements. Paraît qu’elle était moins pire que les autres. Disons que cette femme folle de pouvoir avait tourné casaque et promis, une fois devenue chef, de calmer les ardeurs de ses troupes après avoir contribué aux épouvantables massacres des citoyens de son propre pays et la mise en pièces de Sarajevo (là même où elle enseignait jadis la biologie, c’est-à-dire la science qui traite des manifestations de la vie).
L’avait bien joué la dame de fer, en pariant sur les Occidentaux, toujours si prompts à tout pardonner, plutôt que sur ses anciens mentors. Après s’être livrée au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou en échange de son arrivée à La Haye), elle a obtenu du procureur l’abandon des poursuites du chef de génocide, d’extermination et de meurtre. Cela ne signifie pas que ce monstre est innocent mais que juridiquement, on acceptait de fermer les yeux sur ses crimes les plus atroces.
Condamnée à onze ans de prison du chef de persécution pour motifs politiques, raciaux ou religieux, voilà qu’elle vient d’être libérée aux deux tiers de sa peine pour bonne conduite.
Parions qu’Hitler se serait aussi très bien conduit en prison. N’aurait jamais gazé un seul de ses gardiens, ni exterminé leur race. Elle est de la même famille, la mère Plavsic. Faut dire que les Suédois ont fait attention de ne pas introduire dans sa prison de gardiens bosniaques. On appelle ça, non pas du nettoyage ethnique mais de la prudence élémentaire.
Prudence, le maître mot (le seul mot) de la politique étrangère européenne.

www.berenboom.com

PAYSAGE AVEC LA CHUTE D’ICARE

« Paysage avec la chute d’Icare » est le titre d’un célèbre tableau de Breughel. (C’est aussi le titre sous lequel Pierre Mertens vient de regrouper en un seul volume ses deux premiers romans et ses nouvelles qui forment une étonnante et magique continuité.)
Rappelez-vous la scène immortalisée par Breughel. Tout semble d’une extraordinaire sérénité. Un cultivateur trace son sillon, penché sur sa charrue. Un gardien de moutons médite au milieu de ses bêtes. En contrebas, sur la mer, vogue joyeusement un navire. Il faut être très attentif pour repérer un détail minuscule, les jambes d’un type en train de couler. Les autres personnages lui tournent le dos. Personne n’a compris l’événement qui vient de se produire : la chute d’Icare. Un détail dans le paysage.
Comment ne pas penser à cette scène à propos de la mort du cycliste Frank Vandenbroucke ? Deux saisons de rêve l’ont fait planer (Liège-Bastogne-Liège, Paris-Nice) avant la chute, les ailes brûlées par le soleil.
Son destin évoque à la fois à la figure mythique de la légende grecque immortalisée par le grand peintre bruxellois et la saga pathétique du Belge moyen, telle que l’incarne souvent à l’écran Benoît Poelvoorde.
Tout chez V.D.B. a toujours oscillé entre ces deux pôles.
Déjà ce terrible diminutif. Auparavant celui d’un politicien lui aussi flamboyant mais qu’on accusait d’avoir fait flamber l’argent du contribuable plutôt que la fortune du pays.
A ses meilleurs moments, les débuts de V.D.B. rappelaient ceux de Merckx : une aisance stupéfiante (l’adjectif s’est hélas vite imposé), la grâce d’une danseuse lorsqu’il gravissait les cols. A la fin, il suppliait qu’on l’accepte dans des courses de kermesses ou s’inscrivait sous un faux nom dans des courses d’amateur. Juste pour assouvir sa soif de pousser sur les pédales et de rester dans la compétition. Cette obstination à s’accrocher aux portes du paradis, à les secouer, était admirable, poétique et désespérée. Le camion-balai était passé depuis longtemps mais Frank avait refusé d’y monter, préférant terminer la course à pieds, à des années lumière de ceux qu’autrefois il coiffait sur la ligne. Jamais renoncer.
Mais, comme chez Breughel, sa chute s’inscrit dans un paysage faussement serein. Car, ce qui a fait tomber VDB avait achevé avant lui notamment Pantani, Landis ou un autre de nos champions pathétiques, Michel Pollentier, qui était déjà un brouillon du pauvre Frank. Annonçant peut-être la disparition d’un sport qui n’est plus qu’un lamentable spectacle de course poursuite entre médecins fous et policiers, entre seringues et bouquets de fleurs. Pourtant, qu’est-ce qu’il a nous a fait rêver !

www.berenboom.com

LA COMMEDIA DU CHANGEMENT

On peut tout changer de nos jours : reins, mains, cœur, vie, nationalité, femmes. On peut facilement changer d’air et même quitter la terre pour voler dans les étoiles. Mais le monde a autant de mal à changer de dirigeants politiques que les Belges de championnes de tennis.
Aux Etats-Unis, après l’espoir suscité par la disparition de G.W. Bush, les sales guerres continuent de plus belle. L’Afghanistan s’enfonce dans le non-droit et la terreur, et les Américains, pris dans un siphon, sont sur le point d’envoyer plusieurs milliers d’hommes en renfort. Exactement ce qu’un autre président démocrate s’était cru obligé de faire il y a près de cinquante ans. Au Vietnam.
En Grèce, Papandréou succède à Caramanlis. On se frotte les yeux. En 1963, au moment où s’amorçait l’escalade américaine au Vietnam, Papandreou succédait déjà à Caramanlis !
Et que dire de Assad qui succède à Assad et de Ben Ali ou Hosni Moubarak qui se succèdent interminablement à eux-mêmes ? En attendant l’arrivée de Tony Blair, bientôt à la tête de l’Europe après avoir vidé le parti travailliste anglais de ce qui restait de sa substance après le passage de Mrs Thatcher.
Mais le plus impressionnant de tous est sans doute Silvio Berlusconi. L’homme qui a tout changé (cheveux, rides, paupières, etc) pour ne pas changer. Et qui a ramené l’Italie dans la léthargie tranquille dont l’avait sortie la chute de Mussolini. S’il a modifié le nom de son parti, c’était pour avaler les autres formations de droite, et éviter ainsi à l’Italie de changer de premier ministre. S’il a suborné des témoins, acheté des juges et même le mari d’une ministre britannique, c’est pour prouver que le système judiciaire italien fonctionne bien, et que les innocents s’en sortent toujours, contrairement à ce que prétendent tant de mauvaises langues, puisque le Cavaliere est systématiquement acquitté, souvent au bénéfice de la prescription ou grâce à l’immunité pénale que lui garantissait la loi mitonnée par son ministre de la justice et votée par sa majorité.
Or, voilà que la cour suprême vient de déclarer cette loi inconstitutionnelle. Non, mais où va-t-on ? Et que veut-on de Berlusconi ? Les procès pour corruption vont pouvoir reprendre. Les adversaires politiques qui avaient été aussi écrasés que les socialistes français vont redonner de la voix. Dans la foulée, tout le reste de ce qu’il a apporté à l’Italie sera-t-il aussi remis en cause ? Devra-t-il ôter ses implants capillaires ? Laisser retomber ses paupières tel un vulgaire Michel Daerden ? Limiter l’accès de la télévision à toutes ces folles bimbos qui donnent à la culture italienne ce supplément d’âme qu’apportait hier le cinéma de Fellini, de Risi ou de Monicelli ?

www.berenboom.com

CHERE MADAME LA POSTE

Pour la vieille dame que je suis, la nouvelle fait l’effet d’un bain de jouvence. C’est vrai, ça ? Je serai désormais facteur à la place du facteur ?
Dans ma commune, les trois bureaux de poste sont fermés. C’est normal de supprimer les bureaux dès qu’ils sont sales vu que les femmes de ménages sont aujourd’hui hors de prix. Mais cela m’oblige, pour acheter trois timbres et envoyer mon recommandé, à faire une file interminable chez Delhaize où je dois me rendre en bus (et supporter toutes ces mains baladeuses). Puis-je en passant m’étonner du cadeau versé à votre ancien mari, monsieur Danois Le Postier ? Deux cent et quelques millions (soit deux cents millions de fois plus que le total de mes gains à la Loterie coloniale, où je joue depuis cinquante ans) ! Quand je me suis séparée de mon mari, ce petit salopard qui sautait sur tout ce qui bouge, c’est lui qui m’a payé une pension et je peux vous dire que, même en francs belges, j’étais loin du compte (paix à son âme, il n’a pas longtemps survécu à sa coiffeuse, mais je m’égare).
Remplacer les facteurs par les gens du quartier, comme moi, c’est une sage décision. D’abord, les facteurs, les vrais, c’est que des flamands. Il n’y en a pas un qui accepte de venir boire le café avec moi pour me raconter ce qui se passe chez les voisins. De toute façon, je ne comprends rien. Mais, tout ça va changer dès que c’est moi qui porterai la casquette ! Le pédophile du bout de la rue, avec moi, il pourra l’attendre longtemps, son courrier, faites-moi confiance (mon fils m’a montré son nom inscrit sur Face Book, un truc pour draguer les lolitas ; je suis certain qu’il y en a d’autres dans le coin ; je vous les signalerai : suffit de noter quels journaux ils reçoivent et de relever les enveloppes tracées d’une écriture féminine).
Et l’hôtesse de l’air en face de chez moi ? Je saurai enfin si, comme je le pense, elle a une aventure du genre exotique (vous voyez ce que je veux dire ?) A ce propos, le petit cordonnier arabe, qui a une tête de terroriste, je le tiendrai à l’œil. Si je vois un paquet suspect à son nom, je le remettrai directement au bureau de police.
Je sais que mon salaire ne sera pas celui d’un facteur flamand : depuis que votre Danois a piqué la caisse, madame la Poste, ne vous reste que vos yeux pour pleurer. Tant pis. Je me contenterai de peu. Ma pension n’est pas très élevée et les Fortis que mon mari m’a laissés, je les ai maintenant collés sur les murs des toilettes – comme mon père l’avait fait dans mon enfance avec les emprunts russes. Moi, ce n’est pas l’argent qui m’intéresse. C’est de lire les lettres de mes voisins, vu que moi, je n’en reçois jamais. Et que je m’ennuie, vous ne pouvez pas savoir…

Alain Berenboom
www.berenboom.com

LE HOLLANDAIS VOLANT

La crise bancaire, un an après. G20, F.M.I., tous ceux qui ont une responsabilité dans la gestion des affaires publiques s’attellent au redressement économique et financier. Oubliant les dégâts que laissera la crise sur les gens, leurs comportements, leur imaginaire, leur conception du monde.
Même si l’époque que nous vivons ne peut être comparée aux années d’apocalypse qui ont suivi 1929 (raccourci facile dont certains media ont abusé), elles ont en commun de remettre en cause certains fondements de la société. De bousculer les valeurs. Et de laisser le citoyen moralement désemparé. Les dégâts touchent nos institutions les plus stables qui ressemblent de plus en plus au Hollandais volant, ce vaisseau fantôme qui errait sur les océans avant de disparaître dans les profondeurs mystérieuses de la mer des Sargasses. La justice belge, par exemple, balayée par les hoquets du procès Fortis. Les yeux bandés, Thémis, descendue du sommet du temple babylonien où l’avait collée Léopold II, fauche aveuglément de son épée tout ce qui l’entoure : hauts magistrats, avocats, jusqu’au président de la chambre flamande de la cour de cassation, dont on a toujours salué la rigueur et l’intégrité.
Ne dirait-on pas que ce climat d’égarement pèse même sur des querelles éthiques comme celles du port du voile ?
L’opposition des uns de voir notre société « submergée » par des valeurs qu’ils ne partagent pas. L’affirmation des autres de leur différence, de leurs « racines ». L’attachement des uns à l’importance des acquis de la société occidentale laïque. Et des autres à des emblèmes religieux qui les rassurent. Dans ces échanges d’arguments, on lit surtout la peur des uns et des autres. Encore un signe de la crise.
Quant aux responsables de ce chaos, qu’en pensent-ils ?
Le retour de l’ancien patron de Fortis, Maurice Lippens, fait plaisir à voir. Après avoir quitté le navire dès que la tempête s’est levée, il est parti se reposer sur la terre ferme abandonnant son navire, le Belgo-Hollandais volant, qui aurait coulé à pic sans les efforts du gouvernement pour en reprendre le gouvernail (pour une fois que l’on peut lancer une bouée à nos ministres, ne faisons pas la fine bouche !) Et lui de proclamer quel bon capitaine il a été, mille millions de mille sabords ! A part une petite faute de communication », reconnaît-il du bout des lèvres : lorsque le bateau a commencé à sombrer, il a oublié de crier : « Sauve qui peut ! Le vin et le pastis d’abord ! » Préférant laisser l’orchestre jouer pendant qu’il filait à l’anglaise.
Le G20 proclame des règles vertueuses, Mr Lippens défend sa propre vertu dans les journaux. Mais les marins le savent : c’et la solidarité entre les hommes qui fait avancer le bateau ; pas le chacun pour soi.

Alain Berenboom
ww.berenboom.com

LE TEMPS DE L’INNOCENCE

Le lancement d’une (nouvelle) intégrale des Beatles en C.D. provoque un engouement que l’admirable orchestration de la campagne de pub ne suffit pas à expliquer. Ni la nostalgie de ceux qui ont aujourd’hui soixante-quatre ans, comme le chantait il y a peu un Paul Mc Cartney sexagénaire mi-pathétique, mi-ironique.
Bien sûr, les babas devenus papas cools écoutent une dernière fois leurs cheveux pousser au rythme de paroles qu’ils sont seuls à comprendre (« You don’t know how lucky you are boy/Back in the U.S. Back in the U.S. Back in U.S.S.R.”). Et les Bobos, se battent pour exhiber dans leur 4×4 la série limitée en mono. Bon, voilà pour les amateurs de collectors.
Mais, les filles et les gars de quinze, de vingt ans, pourquoi se passionnent-ils autant pour des mélodies d’un groupe dissous depuis quarante ans ? Plus que la plupart de leurs parents, à vrai dire.
Les figures de cire qui entourent les Beatles et qu’ils ont choisies, ne signifient plus rien non plus : qui se souvient de leurs idoles, W.C. Fields, Marlène Dietrich, Tony Curtis, Tyrone Power, Diana Dors ou la sculpturale mangeuse d’hommes Mae West (qui avait d’abord refusé la présence de son effigie car, disait-elle, « What would I be doing in a lonely hearts club ? » ) ? A chaque génération, ses idoles. Les figures de cire sont maintenant celles de John Lennon, Paul Mc Cartney, George Harrison et Ringo Starr, figées une fois pour toute dans leur uniforme militaire du Sgt Pepper Club Band. Images d’une époque de rêve, du temps de l’innocence. Celui où Eddy Merckx gagnait le Tour, pas encore hanté par la suspicion permanente de l’E.P.O., où Amstrong mettait le pied sur la Lune sans qu’on se demande si la scène a été tournée en studio pour tromper la planète, où le printemps de Prague faisait penser que le communisme pouvait fonder une autre forme de démocratie. Mai 68 promettait avec autant de naïveté la fin de l’autorité, du pouvoir, des patrons. Dans une époque sans chômage, sans crise économique, sans préoccupation écologique, sans plombier polonais, on se lançait allégrement à la conquête du monde, sans contrôler à chaque tour de roue l’empreinte de CO2 que laissait la belle Américaine qu’on s’était offerte, puisque le pétrole coulerait à flots pour l’éternité des temps et que l’on finirait par s’installer sur la Lune et sur Mars.
Imaginer aujourd’hui Piet De Crem en sergent Pepper, Yves Leterme chanter « I’m so tired », Bart De Wever et Olivier Maingain « I want to hold your hand », di Rupo hurler « Revolution 9». Non, il ne reste rien de tout cela. Rien qu’un titre, vraiment prémonitoire, qui annonce si bien notre époque : « Help » !

Alain Berenboom
www.berenboom.com

MODESTE CONTRIBUTION AU CASSE-TÊTE SCOLAIRE

La rentrée scolaire s’est passée aussi mal que prévu. Des centaines, peut-être un millier d’enfants, sur le carreau – la ministre n’a pas réussi à les compter. Avez-vous vu cette image terrible à la télé ? Une mère et son fils, le regard effaré, attendant devant l’école que le nom du petit soit appelé. Puis, rentrant chez elle, avec son garçon, la tête basse parce que, non, excusez-nous, madame, pas de place. Après neuf mois d’attente anxieuse.
D’un côté donc, des écoles trop pleines. De l’autre, des prisons hollandaises à moitié vides. Où le ministre de la justice se proposait d’envoyer notre surplus de détenus. Mais dont le prix de location est apparu exagérément élevé pour loger des droits communs.
Trop cher pour des délinquants, d’accord. Mais pour nos chères têtes blondes, rien n’est trop beau. Alors, avec un peu avec un peu de souplesse, voilà comment régler en une fois deux problèmes qui paraissaient insolubles : transformer les cellules vides des prisons hollandaises en écoles de la communauté française.
Présenté ainsi, ça peut choquer. Mais, remplacez le mot « prison » par « centre d’éducation belgo-néerlandais » ou mieux encore par « école européenne », ça prend tout de suite une autre allure. Bien sûr, comme tout projet novateur, il entraîne de légers inconvénients : la distance, notamment. Difficile d’obliger les écoliers à se taper tous les jours Uccle-Nimègue et retour. Mais les enfants qui le souhaitent pourraient loger sur place. Les lieux sont déjà conçus pour assurer gîte et couvert. Et ils sont gardés.
Le système présente surtout des avantages : il règle, par exemple, le problème de la violence. Nos éducateurs avouent leur impuissance devant l’agressivité de petites frappes de plus en plus jeunes. Et l’Union belge de football a rendu le problème quasi insoluble en multipliant le nombre de rencontres entre Anderlecht et le Standard. Où est le bon temps où les enfants jouaient à cow-boys et Indiens ? John Wayne, reviens ! Le football les a rendus fous ! Grâce aux prisons hollandaises, fini de tous ces petits mâles aux hormones en folie. Les Wasil et les Witsel, au cachot ! Dès la première bêtise !
Autre avantage du projet: l’immersion linguistique. Assurée dès la première année. Lorsqu’ils sortiront des prisons hollandaises, nos enfants seront des bilingues parfaits, prêts à devenir ministres fédéraux, voire même politiciens flamands. Ce qui annonce à terme la fin des conflits communautaires. Lorsqu’un enfant wallon, sorti du système cellulaire batave, deviendra président de la NvA, la question de BHV sera enfin résolue – si la Belgique tient jusque là, évidemment…

Alain Berenboom
www.berenboom.com