UNE HEROINE DE NOTRE TEMPS

chronique
Vous souvenez-vous de Bécassine, cette sémillante Bretonne partie à la conquête de Paris, son parapluie rouge sous le bras ?
Cette semaine, les aventures de Laurette Onkelinckx rappellent étrangement celles de l’héroïne de Pinchon et Caumery : toujours plus de malheurs, toujours plus sympathique.
De bévues en bévues, notre ministre de la Justice occupe toutes les cases de l’espace médiatique. Peu importe, les mots qui figurent dans les bulles. Du moment que son sourire illumine les petites lucarnes, c’est gagné !
Les méchants Flamoutches la critiquent ? Tant mieux ! Les victimes francophones feront un rempart de leurs votes pour protéger not’ p’tite Liégeoise. Les opposants turcs dénoncent son double jeu ? Tant mieux ! Les électeurs d’origine turque se jetteront dans son escarcelle, déjà séduits par sa danse du ventre autour du génocide arménien qui n’en serait pas un. Les prisons ressemblent à de joyeux gruyères ? Tant mieux ! Même les condamnés vont voter pour elle ! Seuls déchantent ses opposants politiques locaux, Isabelle Durant et Bernard Clerfayt, qui ne traînent pas des gamelles aussi télégéniques. Faut vous secouer, camarades ! Je sais, le défi est rude. Egaler Laurette, c’est plus fort que gagner six fois le tour de France. L’évasion du peloton de la prison de Termonde valait l’envolée de Floyd Landis dans le col des Saisies. Sauf qu’à Termonde, aucun contrôle anti-doping n’était organisé. La faute de la minist’ ? Allons ! Ce n’est tout de même pas elle qui construit les prisons en forme de sortie, pas elle qui a mené l’échappée victorieuse, pas elle qui devait vérifier ce que ces gaillards avaient dans le sang.
Avec Bahar Kimyongur, c’était plus simple : l’attaquant était seul en tête. Suffisait de signaler son passage aux commissaires de course hollandais pour l’emballer et le renvoyer franco de port à Istanbul. Mais avec les magistrats, ma pov’ Laurette, c’est toujours la chienlit. Alors que tout était réglé comme du papier à musique, que la cellule du brave Bahar était prête dans une prison qui ne ressemblait pas à celle de Termonde mais plutôt aux cauchemars dénoncés inutilement depuis des années par la Cour européenne des Droits de l’Homme, un tribunal néerlandais s’est avisé que le petit arrangement avec nos amis turcs ne ressemblait à rien. Et voilà notre Bahar aussi libre qu’un électeur le matin du vote. Trop injuste.

Alain Berenboom

PS : Bécassine n’est pas sa cousine mais Iain Levinson sait aussi tricoter : « Une canaille et demie » (Liana Levi éditeur), un polar nonchalant et plein d’humour où il est aussi question de prison et d’évasion et où le héros est le plus improbable des joyeux personnages de ce délicieux bouquin.

Paru dans LE SOIR