LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS

Il y a près de mille kilomètres entre Beijing et Pyongyang à vol d’oiseau mais comme les volatiles risquent leur vie dans ce ciel tourmenté, traversé de missiles, mieux vaut faire le chemin par la terre ferme (ce qui allonge la route de deux ou trois cent kilomètres).

C’est le train qu’a choisi le président Kim-Yong-un pour rejoindre la capitale chinoise. Question empreinte carbone, c’est mieux que l’avion. Quoique. Les déplacements des tyrans coréens successifs ont en effet toujours été spectaculaires : un train devant pour vérifier l’état de la voie et l’absence d’explosifs, un train derrière avec des militaires au cas où et même des mini-hélicoptères et des véhicules blindés planqués dans la vingtaine de wagons du train présidentiel. On n’est jamais assez prudent quand on embarque dans un tortillard.

Le grand-père du p’tit Kim, grand amateur de films américains, préparait lui-même la sécurité de ses voyages ferroviaires en repassant en boucles les nombreuses scènes d’attaques de trains de l’histoire du cinéma.

Où le président chinois Xi Jinping, récemment réélu jusqu’à ce que mort s’ensuive, a-t-il emmené son délicieux protégé pour le convaincre de se montrer dans l’avenir bien plus obéissant ? Lui a-t-il fait visiter les sous-sols de la Cité Interdite où Kimeke finira ses jours s’il s’entête à jouer au petit chimiste ?

On ne sait pas non plus où se tiendra la rencontre du plus allumé des Kim avec le plus dément des Trump.

Pour créer un climat propice à un accord entre les deux puissances nucléaires, on ne saurait trop leur conseiller une promenade dans un parc d’attraction. Par exemple une plongée à deux dans le terrifiant Train de la Mine à Disneyland ou une virée dans le Train fantôme de la baraque des Horreurs de Joyland (le parc d’attraction qui donne son nom au joyeux roman de Stephen King).

En hurlant de terreur, leurs grosses cuisses serrées les unes contre les autres, ils seront mûrs, s’ils en sortent vivants, pour signer n’importe quoi surtout si le papier leur est présenté par un mort-vivant.

Après une barbe-à-papa, pour se remettre de ses émotions, le jeune Kim sera prêt à reprendre son train et la planète son train-train. Pensant que le pire est derrière lui. Erreur, s’il se souvient du cinoche de papy, c’est l’attente du convoi qui se révèle en fin de compte le moment le plus angoissant de tout le voyage.

L’attente du 3h10 pour Yuma, le décompte des heures lorsque Gary Cooper guette le train qui sifflera trois fois, l’affrontement sur les quais entre Kirk Douglas et Anthony Quinn dans le Dernier Train de Gunhill.

L’occasion peut-être pour la SNCB de proposer ses services. Installés dans un de nos trains, Trump et Kim-Yong-un sont assurés de ne pas être au bout de leurs surprises.

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LA POLITIQUE DU PIS

Il paraît que jadis un ministre dirigeait en même temps la culture et l’agriculture. On ricanait à ce sujet mais, à voir l’état de la paysannerie aujourd’hui, ce ministère des deux misères était moins absurde qu’on ne le disait : artistes et agriculteurs sont aussi mal lotis en cette période de crise et de désertion des autorités publiques. Même si ce qui pend aux cimaises de certains vendeurs d’art contemporain peut donner l’impression que le prix du laid n’a pas autant baissé dans les galeries que dans les campagnes.

Avec un lait payé 27 centimes, comment les agriculteurs vont-ils sauver leurs vaches ? Qu’ils ne comptent plus sur les autorités européennes. La politique agricole commune représente plus du tiers du budget européen mais, depuis que les dirigeants des états membres ont décidé qu’il fallait moins d’Europe pour avoir plus d’électeurs, la survie des vaches ne viendra pas du Berlaymont. Le caprice des Dieux (surnom du parlement européen) n’est plus un bon fromage pour les paysans…

Plutôt que d’essayer de traire la vache à lait européenne, définitivement à sec, on conseille aux agriculteurs d’imiter le monde culturel, lui aussi abandonné, pour se lancer dans la chasse aux sponsors.

Les cibles ne manquent pas. On pourrait par exemple suggérer à la SNCB d’acheter et d’entretenir des troupeaux entiers le long des voies ferrées. Ainsi, les voyageurs, fort déboussolés ces temps-ci par la disparition progressive de tous les repères et les signes qui ont bercé notre vie sociale, seraient rassurés par la stabilité des sociétés de chemins de fer en contemplant des milliers de vaches qui comme par le passé regardent passer les trains.

La Fondation Magritte pourrait aussi parrainer quelques vaches en hommage à la « période vache », l’une des plus créatives et impertinentes du peintre. Elle ferait défiler les bêtes, portant une belle robe peinte du slogan « ceci n’est pas un agriculteur ».

Et la police ? Puisqu’elle s’efforce sans grand succès jusqu’ici de soigner un peu son image, elle serait bien inspirée de verser les contraventions pour outrage à agent à un fonds de soutien aux paysans, chaque fois qu’un quidam est verbalisé pour avoir crié « mort aux vaches ! »

Le cinéma belge enfin peut être appelé à contribution. Le western revenant à la mode, on imagine combien pourrait rapporter à nos pauvres paysans la location de milliers d’animaux que de nouveaux cow-boys bien de chez nous mèneraient en cinémascope de Wallonie en Flandre, échappant de peu aux attaques des Indiens perchés à leur passage sur les hauteurs de Bruxelles. Grâce à la présence de nos stars dans les convois, quelques superbes bleu, blanc, belge, on peut parier que l’on parlera bientôt d’une école du western waterzooi. Réconciliant à nouveau culture et agriculture.

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