QUAND J’ENTENDS LE MOT CULTURE

Il avait un bon avocat, Bertrand Cantat. Condamné à huit ans de prison pour avoir tué sa compagne Marie Trintignant, il a été libéré à la moitié de sa peine. Pour bonne conduite.

Ce qui signifie que, pendant sa détention, il n’a pas tabassé de gardien – que des hommes, remarquez, ceci explique peut-être cela.

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir  un ténor du barreau. Tenez, Sophocle par exemple. Un artiste lui aussi, au moins aussi inspiré que ledit Cantat. Mais qui a un handicap par rapport à l’auteur de « Veuillez rendre l’âme » : lui, il est mort. Et depuis si longtemps que ses pièces sont tombées dans le domaine public.

Un auteur vivant ou ses héritiers ont le droit de refuser à un metteur en scène ou un interprète de jouer ses oeuvres. Hélas, si le grand tragédien grec peut s’enorgueillir d’un triple A jusqu’à la fin des temps civilisés, ni lui ni ses héritiers ne peuvent empêcher un metteur en scène canadien et le bourreau d’une jeune femme française de se servir d’ « Antigone » pour servir leurs intérêts, faire scandale et vendre des tickets (sur lesquels ni l’auteur ni son pays ne recevront un radis).

« Nous n’avons pas à poser une question morale sur ce choix. Nous devons nous en tenir à l’aspect juridique des choses » dit M. Colpé, patron du Théâtre de Namur et coproducteur du spectacle avec le théâtre du Manège à Mons.

Voilà donc qu’un jongleur s’abrite derrière le dos d’un flic pour justifier son petit commerce ! On aura tout vu ! Bel effet de la marchandisation de la culture dénoncé jadis par un certain Bertrand Cantat.

Certes, le meurtrier de Marie Trintignant a purgé sa peine. Il est redevenu un homme juridiquement libre. Il peut remonter sur scène, donner des leçons de morale et de politique comme il aimait le faire jadis – avant la mort de sa compagne et le suicide de son épouse. Mais prétendre que la culture peut se passer de morale ? Pardon, M. Colpé. Mais, comme disait Jean Cocteau : « A force d’aller au fond des choses, on y reste ».

Si Bertrand Cantat était chemisier, employé de bureau, caissier à Carrefour, menuisier, ramoneur, fonctionnaire, oui, il aurait pu reprendre son boulot d’avant. Mais un artiste, c’est autre chose. Il porte la parole d’un auteur, son éthique, ses valeurs. Il incarne son message artistique, philosophique, politique. Et, à la fin, c’est lui qui se fait applaudir.

« Ce que je déteste, c’est qu’un coupable, quand il se voit pris sur le fait, cherche à peindre son crime en beau. » Tiens ? Justement de Sophocle. Et dans Antigone…

Alors, oui, je trouve indécent qu’un homme condamné pour violence meurtrière sur une femme monte sur des scènes emblématiques de la communauté française et prétende porter le message de Sophocle.

Je suis un non violent, disait Francis Blanche. Quand j’entends parler de revolver, je sors ma culture.

 

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