L’HOMME QUI VOULUT ETRE ROI

Quand vous pénétrerez dans l’isoloir dimanche, vous serez le roi. Un jour, une heure ou une minute selon le temps que vous passerez derrière le rideau à contempler la feuille de vote ou l’écran. Je sais, vous êtes poli, des dizaines de citoyens font la file qui ne veulent pas s’attarder dans le bureau de vote. Il y a, croient-ils, plus important à faire ce dimanche, le marché, la promenade, le poulet-compote avec la famille, le chien ou les enfants. 

Eh bien, ils ont tort tous ces impatients, pressés d’en finir et qui battent le pavé derrière vous sans enthousiasme, beaucoup par un vague sentiment d’obligation ou simplement pour éviter une amende. Alors, faites leur bien comprendre pourquoi vous vous attardez. Cet instant pendant lequel vous aurez l’impression d’être le roi ne reviendra pas avant cinq ans – si tout va bien car on ne peut exclure qu’en raison d’événements critiques, il se passera beaucoup plus de temps avant que vous ne soyez à nouveau appelés à noircir une case. En démocratie, le sûr n’est jamais certain. 

Donc, vous voilà seul face à des centaines de noms, la plupart inconnus, sous le sigle de partis dont vous n’avez jamais entendu parler. Pourquoi diable ces gens se sont-ils présentés ? Quand on a posé la question à Barack Obama, il a répondu : « J’ai décidé de me présenter à l’élection présidentielle parce que j’ai compris que je ne pourrai jamais être Bruce Springsteen » …

On vous demande de choisir des hommes et des femmes qui vont gérer votre vie sans que vous puissiez vous y opposer pendant des années, sans que vous ne puissiez jamais dire en cours de route : « Attendez ! Il y a erreur ! Vous faites juste le contraire de ce que vous m’avez promis ! » Vous ne pourrez même pas prétendre que votre cher élu a dépassé la date de péremption. 

Ceux que vous avez désignés vont vous prendre une partie de votre pognon, bloquer ou non votre rue ou votre quartier, dans le meilleur des cas verser à certains d’entre vous un peu d’argent, ils prétendront vous imposer ou non votre manière de vous habiller et discuter certaines de vos libertés. Comme l’avouait Jacques Chirac : « On fait les cadeaux avant les élections et on décide des impôts tout de suite après ». 

Donc, avant de remplir une case, songez à Lamartine :  « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours/ Laissez-nous savourer les rapides délices/ des plus beaux de nos jours ! » 

« Alors ! Vous dormez ou quoi ? Il y en a je vous jure ! »

D’accord, d’accord, je sors. Mais, quelques instants encore, je vous prie, que je puisse savourer ce moment délicieux où j’ai eu le droit d’être roi. Où j’ai pu croire que le sort de mon pays, de mon continent, dépendait de moi. 

Mais, une fois sorti du bureau, vous vous rendrez compte qu’en fait vous n’avez pas eu plus de pouvoir que le roi…

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