BELGIAN SOAP OPERA

Ces interminables négociations gouvernementales, quel superbe feuilleton ! Et quelle magnifique source d’inspiration pour nos scénaristes, trop souvent en panne de sujets belges contemporains !

Dans le premier épisode, on a découvert deux grandes stars, Elio di Rupo et Bart De Wever, tout juste sortis des élections. Tous deux, ivres –et un peu surpris- de l’importance de leurs victoires, annoncent de grands projets : ils vont construire à deux une Belgique nouvelle, plus haute, plus ambitieuse que tout ce qu’ont bâti leurs prédécesseurs. Une tour de Babel où monteront ensemble ceux qui babelent en français et ceux qui babelent en néerlandais. Cet épisode s’intitulait : si tu ne vas pas à la montagne, la montagne ira à toi.

Mais les deux architectes n’ayant jamais réussi à décider lequel des deux jouerait le rôle de la montagne, celle-ci a accouché d’une souris. Et le pays est resté plus plat que jamais. La tour de Babel s’est écroulée avant même d’avoir été bâtie. Au lieu de construire une montagne, nos héros n’ont jamais réussi à sortir des fondations, comme des soldats coincés dans les tranchées. Fin de l’épisode de la montagne.

La saison 2 fut celui du long hiver. Plongés dans un sommeil aussi profond que celui de l’ours dans sa grotte, les protagonistes ne se réveillaient que lorsque s’allumaient spots et caméras. Alors, ils sortaient un instant de leur torpeur et nous faisaient un petit numéro qui semblait inspiré par la chute de l’empire romain. Mais les acteurs avaient beau annoncer d’une voix pompeuse l’éclatement de l’empire, l’arrivée des barbares dévastant tout sur leur passage, un tremblement de terre coupant le pays en deux, le film semblait trop médiocre pour intéresser les spectateurs. Les plébéiens préféraient traverser la capitale en réclamant un empereur, du pain et des jeux, ainsi qu’un meilleur scénario ! Les grands monologues des vedettes ne faisaient peur à personne, les effets spéciaux étaient trop « cheap » pour secouer la salle, et, comme le metteur en scène était aux abonnés absents, les acteurs jouaient chacun de leur côté.

Après l’ennui de l’épisode 2, les producteurs ont essayé de relancer le feuilleton en misant cette fois sur la comédie. Elio et Bart étaient priés de s’inspirer des recettes qui avaient fait le succès de Stan Laurel et Oliver Hardy jadis. Elio et Bart, le maigre et le gros. Pourquoi pas ?  On a même eu droit à la célèbre scène où les personnages s’envoient des tartes à la crème. Mais, hélas, la recette a fait long feu. Et, quoique pensent trop de producteurs, les remakes ne garantissent pas toujours le succès. Le duo francophone-flamand n’a jamais réussi à retrouver la magie de l’équipe composée de Stan l’Anglais et Oliver l’Américain.

Se rendant compte qu’ils ne parviendraient jamais à vendre de nouveaux épisodes du feuilleton s’ils ne prenaient pas de mesures radicales, les producteurs ont alors décidé de changer le casting et le script. Résultat, la saison 4. Bart, le méchant des premiers épisodes, a été renvoyé. Et remplacé par un autre comique, Wouter, aussi silencieux, travailleur et plein de bonne volonté maladroite que Buster Keaton, le grand burlesque, l’homme qui ne riait jamais.

Cette fois, le nouvel épisode a démarré sur les chapeaux de roue. Dans la première scène, les héros font sauter BHV aussi facilement et aussi spectaculairement que Buster Keaton détruit des trains à coup de canon dans « The General ». Mais hélas, les scénaristes avaient présumé de leurs forces.

A vouloir à tout prix renouer avec le succès, ils avaient négligé cette règle essentielle de toutes les bonnes comédies. Chaque mouvement, chaque scène, doivent avoir été écrits dans les moindres détails, répétés avant que la caméra ne se mette en marche, chaque acteur doit avoir repéré où il se place exactement et à qui il donne la réplique. Et surtout, on ne se fie jamais à l’improvisation.

Pour avoir oublié ces règles élémentaires, le feuilleton a paru à nouveau basculer vers la catastrophe. A moins que cette dramatisation n’ait été voulue par le scénariste, qui a fait preuve alors d’une subtilité diabolique.

J’ai tendance à penser que c’est la meilleure explication car déjà on projette la bande annonce de la suite : l’or de la banque nationale a disparu.

Tremble, Hollywood ! Elio et ses amis partent à ta conquête !

 

 

Alain Berenboom

MOUSETRAP

Dans une interview demeurée (tristement) célèbre et publié par le quotidien français Libération, Yves Leterme se demandait ce que les Belges avaient encore en commun ? « Le Roi, l’équipe de foot et certaines bières », répondait-il. C’était il y a tout juste cinq ans. Un siècle en politique belge.
Songez qu’à l’époque celui qui présidait alors le gouvernement flamand affirmait : « La nécessité d’avoir un gouvernement fédéral passe au second plan par rapport aux intérêts de la Flandre. » Et que Laurette Onkelinx le qualifiait d’« homme dangereux »
Les transferts de compétences et le règlement de l’abcès B.H.V. qu’il tenta en vain de négocier quand il fut désigné formateur par le roi en été 2007, avec Bart De Wever dans le rôle du souffleur de méchantes répliques, furent considérés par les francophones comme des provocations, une violation du fragile équilibre communautaire.
Il faut dire qu’il avait eu la bonne idée de préparer psychologiquement les négociateurs francophones en affirmant (toujours dans cette interview à Libération) : « apparemment les francophones ne sont pas en état intellectuel d’apprendre le néerlandais ».
L’épisode fameux et ridicule où le premier ministre se mit à chanter la Marseillaise devant les caméras de la R.T.B.F. quand un journaliste lui demanda s’il connaissait les paroles de la Brabançonne acheva de le discréditer aux yeux des francophones.
En cet été 2011, le public peut avoir l’impression que l’on joue depuis quatre ans la même pièce avec les mêmes acteurs qui prononcent les mêmes répliques et s’envoient les mêmes bons mots pour faire rire l’assistance. Mais l’apparence est trompeuse.
« Fin de règne au 16 rue de la loi » a bien des points communs avec le fameux « Mousetrap » d’Agatha Christie. Peut-être même que notre tragédie pourrait battre le record de longévité du drame policier de la grande écrivain britannique (qui est représenté sans interruption depuis près de septante ans dans le même théâtre).
Il y a bien des ressemblances entre les deux pièces : Mousetrap serait un titre parfait pour désigner le récit de la crise belgo-belge. Et le huis-clos dans lequel la reine du crime a situé son histoire (un château dans lequel se sont isolés le policier, la victime et les présumés assassins) ressemble de manière troublante au lieu dans lequel se déchirent nos protagonistes.
Mais, si, quatre ans après les débuts sur la scène fédérale d’Yves Leterme, la victime du crime est restée la même (la Belgique qui se vide de son sang au fond du décor), l’intrigue a considérablement changé et surtout le caractère des principaux personnages.
Ainsi, Leterme, soupçonné hier d’être l’assassin, est devenu le héros des spectateurs francophones. Le garant de l’unité nationale. Le sauveur du gouvernement fédéral, depuis qu’il a oublié ses anciennes répliques qui fâchaient tant. Notre Hercule Poirot.
En revanche, aux yeux des spectateurs flamands, dont il était à l’époque la star, le grand acteur d’Ypres a perdu beaucoup de son lustre. Son souffleur a quitté l’ombre de la scène pour s’emparer de la tête de l’affiche et Leterme, dont le nom brillait jadis en lettres multicolores au fronton du théâtre, ne joue plus qu’un second rôle, celui de la doublure.
Tout ceci explique la difficulté de représenter désormais en Belgique le même spectacle devant des spectateurs venus de différentes régions du pays. Les uns et les autres n’applaudissent plus aux mêmes répliques et ils ne sifflent pas les mêmes acteurs. Quant à l’occupant de la loge royale, on peut comprendre qu’il soit un peu perdu devant les réactions contradictoires de la salle et qu’il n’ose plus rire à aucune réplique ni applaudir aucun acteur.
Mais les choses vont peut-être changer grâce aux vacances. Au théâtre, on affichera relâche. Il était temps que les spectateurs et surtout les auteurs et les acteurs respirent un peu d’air frais. Avec un peu de chance, ils vont aller se détendre aux mêmes endroits. Vibrer aux mêmes événements, aux péripéties du tour de France où la langue des coureurs n’aura plus d’importance quand retentira l’hymne national. Tom Boonen en vert et Philippe Gibert en maillot tricolore sont des coureurs belges.
Mais surtout, nos compatriotes liront sur la plage le même polar de l’été, un thriller passionnant, bien plus fort et plus meurtrier que ceux d’Agatha Christie, La Note d’Elio Di Ripo…