SAINT VALENTIN

A l’heure des familles recomposées, on ne fête plus tout à fait la Saint Valentin comme jadis.
Maintenant, les couples, se font, se défont et se refont selon des ordres et dans des désordres parfois byzantins. Un exemple au hasard, chez les Fortis, tenez, nos voisins qui tenaient jadis le haut du pavé.
Quelle aventure ! Après avoir largué monsieur Maurice, madame F. s’était donnée à monsieur Didier, un homme chic mais qui n’a pas beaucoup de temps et qui l’a jetée dans les bras de monsieur Baudouin, un homme bien, genre beaux quartiers de Paris, avec des crolles grises, un prénom rassurant et un sourire économe.
L’amour, l’amour, c’est très beau mais il ne faut pas oublier les enfants dans le placard, sinon ils ruent dans les brancards !
A l’époque où ils étaient petits, je me souviens comme les Fortis étaient fiers de leurs lardons! Et puis, ils ne le disaient pas, mais leurs enfants leur rapportaient beaucoup d’allocations familiales. Sans oublier le petit Chinois que le couple a adopté il n’y a pas très longtemps, vu qu’il y avait une prime à la clé et que les allocations ne suffisaient plus à assurer leur train de vie. Les vieux couples, ça s’habitue au luxe. Et ça n’oublie pas que le code civil impose aux enfants de prendre en charge leurs chers parents dans le besoin.
Mais voilà, les enfants, au fond, n’aiment pas la saint Valentin. En tout cas, celle de leurs parents.
Chez les Fortis, ils avaient organisé une grande party pour célébrer les nouvelles amours de madame F. et de monsieur Baudouin. Même que monsieur Didier, pas bégueule, avait accepté de venir à la fin de la réception pour lever son verre de champagne français en l’honneur du couple. C’est qu’il doit montrer sa tête dans les fancy fairs vu qu’il est en campagne. Mais les enfants, une fois encore, ont gâché la fête. Alors que le duo d’amoureux s’échangeaient des mots doux, des lingots d’or et des baisers ardents, voilà que les enfants se sont mis à les bousculer, les invectiver et, comme s’ils n’avaient pas fait assez de dégâts, à révéler leurs secrets de famille les plus honteux. On se serait vraiment cru dans « Festen », le film de Thomas Vinterberg.
Bref, la cassure bête et brutale. Monsieur Baudouin est rentré à Paris avec ses crolles de plus en plus grises et son sourire de plus en plus économe, monsieur Didier s’est esquivé sur la pointe des pieds. Et madame F, la pauvre, a fini la Saint Valentin à ramasser, toute seule, les serpentins, les cotillons, et à essuyer la colère qui avait dégouliné sur la moquette. Mais elle continue de croire à l’amour. Sauf que la prochaine fois, elle le vivra caché. Loin des marmots.

Alain Berenboom