Proximité

A grand renfort de pub, la RTBF nous apprend que désormais les radios jouent la proximité, Viva Cité ! et olé ! La proximité, voilà le nouveau concept à la mode. Même l’internet qui arrose la planète entière se veut le « village » mondial. Comme jadis un grand magasin français offrait le buffet campagnard gratuit, la « nouvelle radio » de service public (ah bon ?) ouvre son journal de huit heures sur je ne sais quelle taxe de ramassage de crottes de chiens et laisse le soir un journaliste chantonner un journal improvisé sur antenne et épeler le nom d’un sportif : prononcer un nom qu’est pas d’chez nous risque de lui écorcher les oreilles. Et on s’étonne que le Front national monte dans les sondages au pays d’Elio di Rupo ?
La proximité est devenue un concept fourre-tout pour publicitaires (et patrons de radios) en panne d’inspiration. Pourtant, rien n’est plus important, dans ce monde de barbares, que de protéger les relations de proximité. On le voit quand un village ou une école se mobilisent pour empêcher l’expulsion d’un étranger qui est devenu le voisin, l’autre soi-même. Ou, à contrario, quand le manque de vraies relations de proximité provoque la mort de vieillards solitaires, accablés par la canicule, ou d’enfants dont personne n’a voulu entendre les cris dans la cave du voisin.
La proximité se vit tous les jours dans la rencontre entre des gens qui s’écoutent et qui se parlent. C’est ce qui nous manque le plus. A nous dont la jeunesse s’est épanouie dans la rue, à jouer aux billes avec les autres kets, à crier dans les manifs au coude à coude, à dénoncer la langue de bois. Celle justement des professionnels de la proximité. Parmi ceux-là, les pires transforment votre voisin en ennemi, en épouvantail, en serial killer, d’autant plus dangereux qu’il campe sous vos fenêtres, sur votre palier. Dans le tract électoral du Vlaams Blok à Bruxelles, il ne manque que l’adresse de l’armurier qui vous en débarrassera. Ce qui heurte dans le concept de proximité, c’est que des publicitaires croient malin de l’imposer comme un produit nouveau et artificiel. Or, la vraie proximité est difficile à vivre. Demande du temps, de la patience et de l’effort. Mais elle peut bouleverser votre vie. Rien à voir avec la taxe sur les crottes de chiens et les gentils animateurs positifs qui nous noient depuis trop longtemps sous des « infos » sans importance qui nous ont bercés et endormis.
Si l’affaire Dutroux nous trouble tant, c’est parce que nous sentons bien que nous avons confondu faits divers et faits sans importance, repoussé ce qui se passait près de chez nous, fermé les écoutilles et laisser les rats courir dans notre propre navire.

Alain Berenboom

Mars 2004

Paru dans le journal LE SOIR