MALAISE DANS L’AFFAIRE ERDAL

chronique
D’où vient ce sentiment de malaise dans l’affaire Erdal ?
Du cafouillage des agents de la sûreté ? Depuis l’apparition des bouffons (qui coïncide avec l’arrivée de la civilisation), on sait que rien n’est plus réjouissant que d’assister aux ébats de pandores maladroits. On n’est donc pas vraiment surpris que trente deux agents aient perdu les traces d’une petite dame qui s’est enfuie en autobus. Qui a jamais cru que les Dupondt de la Sûreté belge avaient été formés par le Mossad ? Je dirais même plus : qui a jamais cru que le Mossad belge avait été formé par les Dupondt?
Non, le malaise vient de ce que madame Erdal, soupçonnée de délits graves mais aussi candidate réfugiée politique, attendait tranquillement son jugement (et l’examen de la demande d’extradition vers la Turquie) dans une petite maison confortable, feu ouvert dans le salon et armes d’assaut dans la cave, juste à côté de la réserve de vin.
Le groupe dont madame Erdal fait partie a du sang sur les mains (quoique madame Erdal, suspectée d’avoir prêté la main à un triple assassinat, n’a pas encore été condamnée de ce chef). Rien n’excuse les méthodes de ce groupe, sa violence, sa prétention de décider de la vie et de la mort de ses victimes. Et certainement pas la violence d’état qui, hélas, continue de tacher la plus grande république laïque d’Orient, la négation du génocide arménien, la ségrégation de ses minorités, les méthodes musclées des groupes d’extrême droite qu’elle tolère ou les procès politiques contre ses intellectuels (poursuites contre l’écrivain O. Pamuk ou condamnation du vieux sage de la littérature turque, Yachar Kemal, l’auteur de la magnifique saga de Mèmed le Mince).
On pourrait se réjouir, avec la ministre de la justice, que madame Erdal ne soit pas restée en prison en attendant son jugement, qu’elle a bénéficié de la présomption d’innocence. On veut bien croire que les agents de la sûreté étaient aussi là pour la protéger des milices turques. Il est bon de se rappeler soudain le statut spécial des prisonniers politiques instauré chez nous dès le XIXème siècle et dont nous devrions être fiers. Ce qui gêne c’est que ces beaux principes, on a l’impression ces dernières années que tout le monde les avait oubliés. Pourquoi en effet deux poids, deux mesures ? Pourquoi tant de braves gens, qui n’affiche à leur casier judiciaire même pas une contravention pour stationnement interdit à Kaboul, à Rabat ou à Lubumbashi sont-ils enfermés comme des chiens dans des centres fermés, honte de notre système administratif ? Pourquoi eux et leur famille sont-ils traités comme des chiens par la police des étrangers ? Pourquoi des enfants sont-ils détenus comme des chiens au mépris de nos lois si respectables ? Alors, oui, on ressent un certain malaise…

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR