L’ETE DES FAITS DIVERS

chronique
Comment un fait divers se transforme-t-il en fait de société, en événement politique ?
Deux terribles affaires récentes rappellent qu’en Belgique, il n’y a plus de faits divers : la mort du passager d’un autobus à Anvers à la suite des coups reçus par une bande de jeunes et l’assassinat de deux fillettes à Liège.
La mort par infarctus d’un homme qui avait osé interpeller quelques jeunes excités en leur demandant de se calmer aurait été en d’autres circonstances, en d’autres lieux, en d’autres temps, une info locale malheureuse et choquante mais elle n’aurait pas fait la une des journaux et des commentateurs politiques.
La nature de cet incident a changé radicalement dès lors que l’affaire se déroule à Anvers, ville malade, gangrenée par la haine et le désarroi (malgré semble-t-il une reprise en mains sérieuse des hommes politiques démocrates du cru). Et que les agresseurs sont des jeunes gens d’origine marocaine.
Elle fait apparaître de manière emblématique le terrible malaise qui parcourt Anvers (mais aussi ne nous y trompons pas les autres villes du pays) : la sensation d’insécurité dans une société en pleine mutation, la peur de l’étranger, particulièrement du Maghrébin. Ce malaise révèle surtout l’absence de confiance de beaucoup de citoyens dans les institutions démocratiques et les hommes appelés à les faire fonctionner : politiciens, policiers, juges.
Ces considérations avaient déjà été émises il y a dix ans à l’occasion de la découverte des méfaits de Dutroux et de ses complices : le mauvais fonctionnement des polices et de la justice, le manque d’humanité et de communication de magistrats enfermés dans une tour d’ivoire mais surtout l’inefficacité de l’institution judiciaire. Il faut reconnaître que de profonds changements sont intervenus. Police, appareil judiciaire ont été réformés, d’importants moyens affectés à la justice.
Pourquoi alors la disparition puis la découverte de l’assassinat de Stacy et de Nathalie à Liège suscitent-elles une émotion aussi profonde, qui rappelle celle provoquée par les meurtres de Julie et Melissa, de Ann et Eefje ou de Leïla Benaïssa ?
Au-delà de l’émotion face à la mort violente de deux enfants, des sévices qu’ils ont subis, il y a autre chose qui nous fait réagir. Le sentiment qu’à Liège comme à Anvers, les victimes sont, comme celles des affaires Dutroux et Derochette, le symbole d’une société qui ne s’aime plus et qui n’aime plus les êtres qui la peuplent et qui la font. Ce ne sont pas seulement les institutions judiciaires et policières qu’il faut reprendre en mains, c’est notre société, notre vie. Se regarder et s’aimer.

Alain Berenboom
www.berenboom.com

Paru dans LE SOIR