HEUREUSES NECROLOGIES

chronique
Entre les émissions spéciales sur l’effacement d’Ariel Sharon et les hommages idolâtres à François Mitterrand, l’année commence fort. On en vient presque à regretter ces bonnes vieilles émissions sur Coluche ou Claude François que les télés ressortent hâtivement des placards lorsque les courbes d’audience commencent à fléchir. Un beau mort, rien de tel pour faire battre les cœurs. Un grand acteur peut crever l’écran, un nouveau tribun électriser les foules, un dur laisser glisser une larme inattendue, rien à faire, les vivants se font toujours écraser. Entre Mitterrand mort et Van Cauwenberghe qui gigote encore, il n’y a pas photo.
Jadis, le soir du réveillon, mon cousin et moi, nous nous amusions à dresser la liste des morts de l’année à venir et le 31 décembre suivant, le champagne était pour celui qui en avait éliminé le plus grand nombre. Je me rappelle encore de ces durs à cuire qui ont résisté année après année à nos prévisions funéraires : Irving Berlin, auteur des plus belles comédies musicales (mort finalement à 101 ans), Khomeiny, Jimmy Stewart ou Ronald Reagan. Kirk Douglas et Jerry Lewis, Dieu merci, résistent encore.
Une fois morts, les méchants et les mécréants acquièrent une aura qui efface d’un coup tous leurs méfaits. La faux de la camarde a les vertus d’une baguette magique…
Sharon dans le coma? En quelques heures, oubliés Sabra et Chatilla, la promenade provocatrice sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem, l’absence de tout plan de paix, la politique d’humiliation des civils palestiniens et le libéralisme destructeur de la société israélienne. Sa transformation soudaine en « père fondateur », joli mensonge historique, a dû faire se retourner Ben Gourion dans sa tombe.
Mitterrand dix ans après? Effacés, les années troubles de Vichy et les amis de l’époque restés dans son sillage, son rôle dans la répression cruelle des Algériens, sa politique pro-serbe au début de la guerre de Bosnie, la transformation de la gauche française qui faisait rêver en une clique d’hommes d’argent et de pouvoir. Désormais en tête dans les sondages, il serait aux yeux des Français le meilleur président de la cinquième république (alors que Giscard aura, dans ses premières années, plus changé la société française que « le premier président de gôche » en 14 ans). Nos hommes politiques en mal de popularité devraient retenir la recette : il suffit de disparaître pour devenir une star…

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

P.S. : Pour voir de vrais héros, des hommes vrais qui font simplement leur métier, «Good night and good luck», de G. Clooney, portrait magnifique d’une rédaction de la CBS au plus fort de l’hystérie de la commission sénatoriale Mac Carthy.