CHERE MADAME LA POSTE

Pour la vieille dame que je suis, la nouvelle fait l’effet d’un bain de jouvence. C’est vrai, ça ? Je serai désormais facteur à la place du facteur ?
Dans ma commune, les trois bureaux de poste sont fermés. C’est normal de supprimer les bureaux dès qu’ils sont sales vu que les femmes de ménages sont aujourd’hui hors de prix. Mais cela m’oblige, pour acheter trois timbres et envoyer mon recommandé, à faire une file interminable chez Delhaize où je dois me rendre en bus (et supporter toutes ces mains baladeuses). Puis-je en passant m’étonner du cadeau versé à votre ancien mari, monsieur Danois Le Postier ? Deux cent et quelques millions (soit deux cents millions de fois plus que le total de mes gains à la Loterie coloniale, où je joue depuis cinquante ans) ! Quand je me suis séparée de mon mari, ce petit salopard qui sautait sur tout ce qui bouge, c’est lui qui m’a payé une pension et je peux vous dire que, même en francs belges, j’étais loin du compte (paix à son âme, il n’a pas longtemps survécu à sa coiffeuse, mais je m’égare).
Remplacer les facteurs par les gens du quartier, comme moi, c’est une sage décision. D’abord, les facteurs, les vrais, c’est que des flamands. Il n’y en a pas un qui accepte de venir boire le café avec moi pour me raconter ce qui se passe chez les voisins. De toute façon, je ne comprends rien. Mais, tout ça va changer dès que c’est moi qui porterai la casquette ! Le pédophile du bout de la rue, avec moi, il pourra l’attendre longtemps, son courrier, faites-moi confiance (mon fils m’a montré son nom inscrit sur Face Book, un truc pour draguer les lolitas ; je suis certain qu’il y en a d’autres dans le coin ; je vous les signalerai : suffit de noter quels journaux ils reçoivent et de relever les enveloppes tracées d’une écriture féminine).
Et l’hôtesse de l’air en face de chez moi ? Je saurai enfin si, comme je le pense, elle a une aventure du genre exotique (vous voyez ce que je veux dire ?) A ce propos, le petit cordonnier arabe, qui a une tête de terroriste, je le tiendrai à l’œil. Si je vois un paquet suspect à son nom, je le remettrai directement au bureau de police.
Je sais que mon salaire ne sera pas celui d’un facteur flamand : depuis que votre Danois a piqué la caisse, madame la Poste, ne vous reste que vos yeux pour pleurer. Tant pis. Je me contenterai de peu. Ma pension n’est pas très élevée et les Fortis que mon mari m’a laissés, je les ai maintenant collés sur les murs des toilettes – comme mon père l’avait fait dans mon enfance avec les emprunts russes. Moi, ce n’est pas l’argent qui m’intéresse. C’est de lire les lettres de mes voisins, vu que moi, je n’en reçois jamais. Et que je m’ennuie, vous ne pouvez pas savoir…

Alain Berenboom
www.berenboom.com