CHARLEROI, DEUX MINUTES D’ARRÊT

De Charleroi, on croyait tout connaître. De ses dessous. Et de ses pardessus.
On imaginait bêtement que l’argent y coulait à flots, que les caves de ses HLM regorgeaient de vins rares, que son aéroport rutilant avait transformé la ville en Eldorado. Brussels south, tellement plus chic qu’Uccle Calevoet.
Et voilà qu’une juge souffle les paillettes et nous dévoile sans vergogne qu’à Charleroi, mieux vaut être pauvre, socialiste et malade que riche, subsidié et clinquant.
Il n’est « peut-être pas raisonnable d’afficher sa prospérité dans une région économiquement sinistrée » dit-elle pour condamner le propriétaire d’une maison rénovée grâce à des subventions de la région à les rembourser. Le fait que cet homme d’affaires a subi plusieurs car-jackings, cambriolages et agressions à main armée, que sa famille a été menacée, n’est pas un motif justifiant qu’il se soit fait la malle avant la date prévue par la convention de subsidiation.
La juge a raison. L’agresseur, c’est lui. Quelle idée en effet de frimer en Jaguar sur les boulevards dévastés de Charleroi ? Quand on a de la galette, on se paye deux voitures, monsieur, la Jag’ pour les week-ends à Knokke et les déjeuners à Mons. Et une bagnole pourrie, la même que celle du juge, pour faire son shopping au Carrefour du coin avant qu’il ne ferme définitivement ses portes.
Et cette villa de rêve, cet hôtel de maître rénové à coups de millions et de subventions publiques ? Une pure provocation quand on voit l’état de délabrement du palais de Justice de Charleroi, une de ces constructions modèle socialisto-stalinien des années soixante. On s’étonne même que les agresseurs n’aient pas eu la charité de verser une partie de leur butin aux magistrats locaux.
Il y a quelques années, un juge avait acquitté une petite voleuse qui avait piqué dans une grande surface en considérant que l’étalement obscène des biens de consommation ne pouvait qu’inciter au vol.
Nul doute que si les voleurs qui ont failli faire la peau de cet homme d’affaires arrivaient devant le tribunal, ils auraient des chances de recevoir les félicitations du jury. Inutile même de les rechercher. La police a bien d’autres choses à faire à Charleroi.
Peut-être serait-il bon que la présidente de la quatrième chambre revoie le film « La Traversée de Paris » (adapté d’une superbe nouvelle de Marcel Aymé) où Jean Gabin lance : « Salauds de pauvres ! » à une poignée de misérables.
Ou qu’elle aille voir un autre film, justement sur les écrans depuis peu, « Tales from the golden age » de Cristian Mungiu, belle histoire de pauvres, autrement exemplaire, lumineuse et pathétique, pétaradante de joie de vivre.

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