BONS MOTS

chronique
De quoi se souviendra-t-on après le Mondial et les vacances ? Les affaires de Charleroi et de Namur seront sans doute un peu oubliées. Mais pas le crime d’Anvers. Où l’on est passé du verbe au sang.
Les mots aussi peuvent tuer. Après la cavalcade sanglante d’Anvers, c’est vers le V.B. que l’on s’est tourné, en accusant le parti néo-fasciste d’avoir infecté ce qui restait de cervelle au tueur. Le V.B. n’a pas le monopole des idées immondes.
Extrait d’une conversation entre un certain Christian Desmet, conseiller communal M.R. à Forest et des amis, membres du même conseil communal. Parlant d’une échevine (de son propre parti) : « Les nazis ont peut-être exterminé six millions de juifs, mais ils en ont oublié une ». C’est ici qu’on rit, paraît-il.
L’histoire ne dit pas si les amis se sont esclaffés. Mais certains d’entre eux, manifestement choqués, n’ont pas gardé la « blague » de notre conseiller dans la poche. Les mots sont dits pour être répétés.
Le misérable, immédiatement exclu de son parti, a présenté des excuses (pas très spontanées, remarquez; il a fallu une médiation et la promesse de renoncer à une procédure pénale pour les lui arracher). Mais, soyez-en sûr, sa phrase continuera de résonner, de se promener dans les conversations. Et, qui sait, d’en inspirer d’autres, tout aussi fines.
Comment un homme, qui exerce certaines responsabilités publiques depuis de nombreuses années, en arrive-t-il à proférer de telles conneries ? A les penser ? A croire que ses amis vont se fendre la pipe quand il va les raconter ?
Le bonhomme rêvait, paraît-il, depuis longtemps d’un poste d’échevin qu’il n’a jamais réussi à décrocher faute de score électoral. Après les dernières élections, la bourgmestre lui aurait pourtant promis, juré, craché, que cette fois, il allait recevoir son petit bâton de maréchal en cours de législature. Puis, elle aurait oublié sa promesse tout en le consolant avec d’autres cadeaux (des mandats dans la société d’habitations sociales). Bref, il en aurait conçu une grande amertume.
Bon. Et alors ? Quel est le lien entre son rêve de diriger un empire (gérer l’état civil ou la propreté à Forest) et l’holocauste ? J’avoue, je ne comprends pas. Y a-t-il un docteur dans la salle ?
A propos de Dieudonné, on avait parlé de « dérapage ». La vérité est plus inquiétante : le mot infect est devenu banal. Comme si désormais les mots n’avaient plus d’importance et que la politique n’était plus que bavardage et spectacle. Le gagnant n’étant que le meilleur bateleur, celui qui rit le plus fort, qui en sort la plus énorme. Dur…

PS : à propos de mots, la Série Noire vient enfin d’éditer en français le très beau, très âpre et déchirant « Mort en Californie » de N.Thornburg.

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR