AUTOPSIE D’UN MEURTRE

chronique
Charleroi… Pour les journalistes, le coffre aux trésors. Pour les lecteurs et les téléspectateurs, un feuilleton digne de Gaston Leroux. Chaque jour, de nouveaux scandales, inculpations, détournements, escroqueries, association de malfaiteurs. On se frotte les yeux. Une ville gangrenée, assassinée par ses propres notables ? Quelle mouche les a piqués, tous ces gens « bien » ? Pourquoi échevins, patrons de sociétés, d’associations, de puissants services publics se sont-ils mis à jouer avec le fric des jolies sportives, la gestion des immondices, les factures des fournisseurs d’habitations sociales ? Ne cherchez plus. La cause du mystère, c’est la vidéo par G.S.M. – le dernier phénomène à la mode.
Depuis quelques mois, les policiers expliquent que, dans beaucoup de villes européennes, les agressions n’ont plus pour motif le vol, le pognon ou la vengeance. Mais simplement le plaisir pervers d’être filmé en pleine transgression. Lorsqu’un émeutier incendie une bagnole, qu’un petit con renverse une vieille dame, qu’une bande d’élèves agresse un prof en pleine classe, ils attendent que leur copain soit prêt à enregistrer la scène avant d’agir. Ensuite, ces images sont fixées sur des blogs à la gloire de ces héros et transmises via le net. Grâce au G.S.M., tout le monde a désormais une chance de devenir vedette de l’écran, comme sur TF1.
Songez maintenant au destin d’un homme politique carolo. Que signifient les honneurs pour lui ? Devenir échevin de Charleroi, président d’une association d’habitations sociales, d’une intercommunale ? Tout au plus d’un club sportif local ou de la piscine municipale. Un destin, ça ? Alors qu’en regardant la télé, en surfant sur le web, il constate, amer, qu’un petit émeutier des banlieues qui roule des mécaniques est un héros en quelques heures. Son image, ses exploits diffusés sur toute la planète, objet de colloques, de publicité.
Aussi, lassés d’être oubliés des dieux de la communication et de la renommée, ces braves gens se sont réunis et ils ont décidé de changer de méthode : puisque leur gestion impeccable, leur dévouement à la chose publique, leur abnégation au service des citoyens restaient à jamais occultés par les caméras, ils allaient forcer les télés à braquer les objectifs sur leur ville chérie. Et, comme la sagesse ne suffisait pas, ils allaient jouer l’extravagance, la folie.
Reconnaissons-le : ils ont réussi au-delà de toute attente. Une chose les dérange encore : être traités de dinosaures, de socialistes à l’ancienne, d’acteurs d’un système révolu. Alors que leurs méthodes prouvent au contraire combien ils sont modernes, dans l’air du temps. Ce sont eux les rénovateurs. Ne nous y trompons pas.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR