PIERRE, PAPIER, CISEAU

   L’un des principaux groupes éditoriaux français vient de subir une cyber-attaque de pirates informatiques qui réclament rançon pour mettre fin à l’invasion de ses guerriers viraux. Entre temps, tout est bloqué, manuscrits, mails, comptabilité, accès aux archives ou aux contrats que l’on croyait à l’abri dans le cloud. Le nettoyage risque de prendre des semaines. 

 Les pirates des grands chemins devenus malandrins des autoroutes de l’information ont déjà rançonné des milliers d’entreprises et même des hôpitaux. 

   Or, les gouvernements ne cessent d’accélérer le passage à l’informatique. Pour obtenir un document administratif, remplir une déclaration, avoir accès à des archives, des services, on passe au tout virtuel, modèle que la pandémie a accéléré. Même pour la vaccination il faut s’inscrire en ligne. Et l’on ne se parle plus que via les réseaux sociaux. Bientôt, pour voyager, le ticket ou le certificat de vaccination ne seront plus qu’un QR code. Modernité, rapidité, facilité. On ajoute aujourd’hui l’hygiène pour justifier la virtualisation. 

Mais que faire des réticents à l’informatique, les RAI ? Des citoyens de seconde zone, privés d’accès aux services publics ? Et interdit d’accès à certains produits ? Les RAI déraillent s’ils n’ont pas pris le train en marche. 

Or, voilà que les hackers aigrefins viennent nous rappeler la fragilité de l’empire du 2.0. 

Le secrétaire général de l’ONU, M. Guterres a mis en garde dans son discours à l’occasion du 75 ème anniversaire de l’institution contre « la face obscure du monde numérique », en soulignant que « les progrès technologiques vont plus vite que notre capacité à y répondre, voire à les comprendre. »

Un groupe de bandits a les moyens d’effacer la mémoire d’une société, d’une administration, d’une université, en instillant ses petites saloperies dans le réseau.

Nous possédons les tablettes (oui, déjà des tablettes !) racontant l’épopée de Gilgamesh, roi de Sumer, écrites il y a 4 500 ans. Des textes d’Egypte ancienne, les manuscrits de la mer morte écrits depuis le troisième siècle avant notre ère, les Classiques des documents et les Classiques des vers réunis dans l’empire chinois à partir du huitième siècle avant notre ère. Et les bibliothèques que nous ont laissées les scribes et les auteurs des siècles passés. C’est le papier qui a préservé notre mémoire, qui a sauvé nos civilisations, qui a préservé la survie de l’homo sapiens. Les attaques des pirates 2.0 sont un signal d’alarme contre l’abandon du papier, le tout informatique, l’élimination des archives après numérisation. Un orage survient, qui fait éclater les clouds… 

Comme l’écrivait Gainsbourg : « Laissez parler les petits papiers/à l’occasion papier chiffon/Puissent-ils un soir papier buvard/Vous consoler. »  

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SI TU NE VAS PAS A MONTAIGNE …

    Et si on me foutait la paix ? Voilà comment Montaigne a réagi, j’en suis sûr, en apprenant que des experts voulaient fouiller son cercueil et analyser ses restes pour vérifier… Vérifier quoi au juste ? Que sa dépouille est celle du magnifique philosophe humaniste bordelais ? Et après ? Même si c’est lui qui repose dans ce tombeau depuis 1592, la Montaigne accouchera d’une souris. Parce que ça leur apportera quoi au juste aux admirateurs des « Essais » ? Croient-ils qu’il se redressera pour ajouter un chapitre inédit plein de cette sagesse dont nous avons bien besoin, il est vrai ? 

  Peu d’écrivains ont laissé autant de traces que Montaigne. Les fondements de la Lumières, la première place donnée à l’individu, on lit tout ça dans ses « Essais ». « Chaque homme porte la forme entière, de l’humaine condition ». Une réflexion qui résonne d’une singulière actualité dans le climat de violence, d’intolérance et d’égarement que nous traversons. 

   Il faut lire et faire lire ses écrits. Mais pourquoi chambouler son tombeau ? Il y a peu de chance que son intelligence soit transmise à celui qui posera la main sur sa pierre funéraire. 

Dans notre époque où tout est devenu virtuel, la place du corps a de moins en moins d’importance. A fortiori s’il n’en reste plus grand-chose… 

Certes, les hommes de Neandertal déjà enterraient et vénéraient leurs anciens. Mais ils n’étaient pas sept milliards. Depuis, on préfère de plus en plus la crémation. Et honorer virtuellement les défunts. Le business ne perdant jamais le nord, on peut à présent entretenir ad vitam aeternam un site qui perpétue le souvenir et les meilleures photos de votre cher disparu. 

Les écrits et les images aussi ont perdu toute réalité. Les films ne se tournent plus sur pellicule. Seul leur « signal » est conservé. Avec le risque que dans quelques années, dans quelques siècles, on ne pourra plus déchiffrer les œuvres numérisées d’aujourd’hui parce que la langue dans laquelle elles ont été conservées aura disparu, qu’il n’y aura plus de programme de transfert. 

On peut lire le code d’Hammurabi rédigé il y a quatre mille ans ou contemplé les dessins laissés par nos ancêtres dans les cavernes. Mais les générations futures ne pourront plus parcourir les écrits publiés aujourd’hui sur internet, ni visionner « Une affaire de famille » ou « Hors normes ». Restera heureusement Montaigne, imprimé sur papier ! Lequel constatait que « La plupart de nos occupations sont comiques. Le monde entier joue la comédie »… 

Ps : A propos des morts, allez voir un film magnifique, fort, tendu et émouvant, « Nuestras Madres » de Cesar Diaz, l’histoire d’un jeune technicien légiste chargé d’identifier les morts victimes de la répression militaire de la fin du siècle dernier au Guatemala. Dignité, douleur et féminisme que ce bel ode aux mères et aux femmes.     

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TUE, TUE, TUE !

    La photo aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Pour l’une de ses premières sorties, le nouveau petit tyran coréen a tenu à s’afficher avec une jolie jeune dame (son épouse, d’après les gossips) en train de faire les fous dans un parc d’attraction. Particulièrement excités par des montagnes russes vertigineuses.

Le Leader Bien-aimé-respecté, version baby, est aussi un fan des jeux vidéo et des créatures virtuelles. Faut-il s’étonner alors de sa capacité à se faire peur ?

Les drogués du monde virtuel sont fascinés par ce qu’il offre de violence, de créatures terrifiantes et d’armes absurdes faites pour riposter de façon disproportionnée à l’adversaire. Dans le monde virtuel, on ne fait pas de prisonniers, on ne connaît pas les conventions de Genève et de La Haye. La seule règle, c’est : Tue, tue, tue !

Qu’y a-t-il de réel dans les rodomontades de Kim Baby ? A-t-il vraiment une bombe atomique ? Est-il capable de l’expédier sur la tête de ses voisins ? Et, si Baby se comportait en émule du docteur Folamour, serait-il suivi par ses militaires ?

Sur ce dernier point, on est un peu inquiet : aucun d’entre eux n’a jusqu’ici refusé de porter la casquette ridicule qui coiffe les haut-gradés coréens, une espèce de super-crêpe Suzette, qui constitue pour eux une mise à l’épreuve : celui qui accepte de se promener avec ce couvre-chef en public est prêt à accepter en toutes circonstances d’obéir aux ordres de son chef, même les plus délirants. L’histoire nous a enseignés que, placés sous les ordres d’un dément, les hommes les plus intelligents exécutent ses caprices, le doigt sur la couture du pantalon. Sans exception. Hitler, Staline, Hiro-Hito. A son propos, on a dit qu’après la destruction d’Hiroshima, l’empereur nippon, incapable de concevoir les effets de la bombe atomique, a dit, c’est triste mais c’est la guerre ; on continue. Banzaï !

Kim baby, lui, connaît la terreur nucléaire mais il a l’air de croire qu’elle n’est qu’un épisode d’un jeu video. Ne vit-il pas dans un monde inexistant, fictif ? Personne de sensé ne peut croire qu’un pays comme la Corée du Nord existe vraiment. Et que des vrais gens y survivent. C’est ce qui explique sans doute que personne non plus ne fait vraiment d’efforts pour faire revenir ce pays et ses habitants dans le monde réel. Les Japonais n’ont pas envie, en cas de réunification, d’une puissance industrielle concurrente dans les parages, la Chine de bases américaines à leurs frontières, les Russes de la fin d’un abcès de fixation et de tension pour les Occidentaux.

Alors, on laisse Kim baby dans sa salle de jeux avec ses bombinettes comme certains parents abandonnent leurs enfants devant la télé ou l’ordinateur sans souci et sans crainte de leurs effets…

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