A ma gauche, Justine Henin. A ma droite, Mary Pearce. Rosetta contre de Villepin ? Oui, elle tient de Rosetta, notre Justine. Avec son enfance malheureuse, sa mère disparue, son père en conflit et surtout cette ténacité, cette fureur, ce masque crispé, toujours au turbin, jamais satisfaite, sans un vrai sourire de jeune fille. Une Rosetta qui a réussi, troquant son mobil home près du terril contre un appartement de nouveau riche à Monte-Carlo, marbre, or et meubles Louis XIX (garanti d’origine par le vendeur).
Face à la Wallonie d’en-bas, Mary Pearce, c’est la France d’en haut avec ses poses, son look d’orchidée en pot, ses manières maniérées de riche bourgeoise du XVIème. La France des tennismen et des spectateurs de Rolland-Garros. A 200 euros la place, il est peu probable que les chômeurs de Seraing aient été nombreux sur les travées. Le prince Philippe, di Rupo, Eerdekens, Renders comme supporters, c’est peut-être réconfortant mais pas très utile. Peu de risque en effet de voir ces gars-là porter la petite joueuse comme doit le faire un supporter digne de son nom, en gueulant, en sifflant, en criant, en suant, en s’époumonant et en démolissant l’adversaire. Pas de frères Dardenne non plus pour diriger la manœuvre. Ni papa. Ni maman. Ni grand-frère ou petite sœur, avec un sachet de cachou ou de bonbons à la violette. Non. A Roland-Garros, Justine était seule face au destin, aussi seule qu’un ouvrier sidérurgiste dressant sa carcasse un peu gauche à l’assemblée générale d’Arcelor. Alors, elle a fait comme elle a toujours fait, la Justine. Elle a craché dans ses mains (observez Mary Pearce : elle ne crachote que sur le bout de ses doigts de mèdème), empoigné sa hache et elle s’est mise à taper comme une sourde. Et vlan ! Et vlan ! Normalement, le roseau plie mais ne rompt pas. Sauf face à Justice. Après son passage, du chêne et du roseau, il ne reste rien. Rien comme Ecolo après un passage au gouvernement, la Wallonie après le contrat pour l’avenir, le MR après la fugue de Louis Michel. Oui, Justine a gagné. A l’entendre, elle est heureuse, fière, soulagée d’avoir vaincu la maladie, ses adversaires et elle-même. Mais regardez-la. Inquiète, tendue, insatisfaite. A l’image de cette Wallonie qu’elle ne quittera jamais, quoiqu’elle fasse : une région à qui l’on a fait trop de promesses, qui a été trop méprisée pour croire encore que deux superbes palmes d’or et une nouvelle victoire au sommet du tennis mondial signent la fin du cauchemar. Ce sont des signes pourtant que rien n’est jamais irréversible. Allez les Dardenne ! Allez Justine !
Alain Berenboom
Juin 2005
Paru dans le journal LE SOIR