Mode, c’est belge

L’avenir s’annonce doré pour les jeunes juristes de notre merveilleuse terre de complications. Après les Bosniaques, les Chypriotes, les Ossètes et quelques autres peuples de la terre (dont j’évite de massacrer le nom ici car mon orthographe n’est plus très sûre depuis les bouleversements de la carte du monde), voilà que les Kurdes à leur tour sont tombés sous le charme. Ils n’ont plus que ce mot à la bouche: le modèle belge. Dans tous ces pays où des minorités tentent d’arracher un lambeau de pouvoir et quelques terres, le modèle belge apparaît désormais comme la pierre philosophale. Lorsque les adversaires se sont épuisés à se donner des baffes, qu’ils ont vidé leurs caisses et découvert que les armes belges ne sont pas aussi efficaces pour rétablir la démocratie que le prétendait notre ministre des affaires étrangères, la Belgique leur propose un autre produit: la Constitution. Moins cher à l’achat, avec un service après-vente plus efficace et un mode d’emploi aussi compliqué mais pas plus que celui du Fal. Notre plomberie institutionnelle (fort bien illustrée à l’écran par le film « Brazil » de Terry Gilliam) donne à ces peuples désespérés une issue à leurs conflits séculaires et insolubles, autrement plus efficace que la F.N. Prenons l’exemple des Kurdes d’Irak. Massacrés par leur président, écrasés par la terreur et la misère économique, les Kurdes envisagent avec angoisse les lendemains de la guerre de Bush. Après la disparition de l’Abominable Homme de Bagdad, il y a peu de chance en effet que son successeur s’intéresse beaucoup à leur sort. Et aucune pour qu’il leur accorde l’indépendance. Reste une solution-miracle : le modèle à la belge. Régionalisation, communautarisation, matières personnalisables, le tout garanti par le système dit de la sonnette d’alarme. Grâce à notre kit complet, Irakiens et Kurdes bénéficieront d’un système qui, comme chez nous, permet tout et son contraire puisqu’il légalise le double langage, organise la confrontation et la concurrence entre les deux régions du pays tout en permettant de gouverner ensemble. Un exemple : un député wallon peut voter pour l’interdiction de la pub pour le tabac au parlement fédéral et exiger sa légalisation au parlement wallon. Un poison dans une communauté est un médicament dans l’autre. Autre exemple: le commerce des armes, dénoncé comme contraire aux droits de l’homme sur le plan national bénéficie de subventions régionales, le tout voté par les mêmes politiciens. Magnifique, non ? Et ça fonctionne ! Si vous êtes convaincu par notre modèle, dépêchez-vous de l’acquérir car les premiers acheteurs bénéficient d’un bonus : un ticket gratuit pour l’entrée dans l’Union européenne.

Alain Berenboom

Mars 2003

Paru dans le journal LE SOIR