ALLER SIMPLE POUR OULANG BATOR

Comment dorment les ronds de cuir de l’office belge des étrangers ? Bien, merci. Et vous ? Moi, pas très bien. Pas bien du tout, à vrai dire depuis que nos braves fonctionnaires, légalement irréprochables, ont rapatrié de force vers la Mongolie soi-disant ex-soviétique la journaliste Hanà Tserensodnom. Eux dorment bien; moi pas. Hanà non plus, ni son fils de dix ans, expédié en colis accompagné pour le même prix. Hanà qui a le choix désormais de se taire ou de faire son travail du fond de l’inévitable cellule de la prison d’Oulan-Bator, où atterrissent quelques-uns des journalistes mongols qui tentent de faire leur métier. On n’aime pas les plaisantins au royaume de Gengis khân, ni les plaisantines. Et critiquer, c’est déjà plaisanter. « Ben, suffit de pas écrire, et elle ira pas en taule ! » dira non sans son bon sens légendaire le patron de nos flics. Ce qui fera certainement rire son ministre, le beau Patrick Dewael, plus intéressé par sa coupe de cheveux et son look de winner des années quatre-vingts que par le sort d’une Mongole. Une Mongole … Avec quoi vous venez ? Comme si on n’avait déjà pas assez de soucis avec les jumeaux Happart !
La question n’est pas : pourquoi Hanà a-t-elle été expulsée, elle qui vivait paisiblement en Belgique depuis quatre ans et s’y était intégrée ? La question est : comment font ces braves gens pour dormir aussi paisiblement (et nous endormir) ? Il y a un truc. Demandez-le par exemple aux gendarmes qui ont étouffé Semira Adamu avec un coussin. De sang-froid, s’il vous plaît. Et qui se sont étonnés de devoir s’expliquer devant le tribunal. Fallait les voir, la conscience tranquille, l’air reposé et serein d’un supporter de football après la victoire de son club. Eux aussi avaient le sommeil tranquille. Que me veut-on ? J’ai exécuté les ordres, monsieur le président. Qu’est-ce que ce serait si je les avais refusés ! Bon. Et celui qui a donné ces ordres ? Ah ! Lui aussi en avait reçu l’ordre. De qui ? Je sé pas. Voyez la note de service – si les archives n’ont pas été détruites entre temps, si elle n’est pas protégée par le secret défense ou autre cochonnerie de cet acabit et les noms qu’ils contiennent supprimés à cause de la loi sur les données personnelles.
Hanà aussi doit avoir les honneurs d’une multitude de notes de service, dont les auteurs et les destinataires sont bien protégés de l’humidité par des tas de parapluies. Allez savoir qui a décidé quoi. Bref, de notes de service en notes de service, de procédures en procédures, l’affaire aura le temps de s’ensabler dans le désert de Gobi. Ce désert qui commence justement aux portes d’Oulan-Bator.
De Gobi à la police belge des étrangers et à son ministre, il n’y a qu’un D. Le D de dégobille.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR