Oui-Non

Oui, oui, on vous a entendu : c’est non. Le rejet de la constitution européenne n’est pas seulement un doigt d’honneur de quelques franchouillards frileux et de Ménapiens arrogants qui affichent la photo de Pim Fortuyn en page d’accueil de leur PC. Parmi ceux qui ont dit non, on compte du bon peuple : des plombiers français effrayés de voir déboucher leurs collègues polonais, des illuminés trotskistes qui protestent parce que le texte ne prévoit pas de soviet européen, de pré-pensionnés de Sarreguemines et de chômeurs de Valenciennes qui ont peur que leurs allocations soient désormais payées aux Bulgares et aux Turcs sans compter les pétés du cerveau qui cherchent l’article 448 bis garantissant la libre circulation des seringues. Ajoutez-y une pincée de politiciens au rencard qui ont trouvé dans la campagne du non l’ultime chance de revenir un instant dans l’actualité. Dans le lot, n’oublions pas les ceusses qui avaient voté Le Pen contre Chirac et ceux qui s’en veulent d’avoir voté Chirac contre Le Pen, sans compter ceux qui se demandent comment se débarrasser une fois pour toute et de Le Pen, de Chirac et de Giscard (on achève bien les chevaux !). Et dans la foulée, les Français qui disent non à Hollande et les Hollandais qui disent merde au reste de la planète. Ajoutez-y José Bové toujours pour-ceux-qui-sont-contre et les communistes qui pensent que voter non leur permettra de recevoir à nouveau le pognon de l’Union soviétique… A tous ces braves gens, soyons honnêtes, il faut ajouter les millions d’Européens qui auraient volontiers dit non si on leur avait demandé leur avis… quelle que soit la question : « êtes-vous pour ou contre le sirop de Liège » ? Non ! « Pour ou contre le rattachement de BHV à la Slovaquie » ? Oui ! Heu, non ! Dire non, c’est dire non au pouvoir tout en déplorant que les gouvernements ne gouvernent pas, non aux fonctionnaires européens tout en grognant qu’il y a trop d’administration, non aux impôts tout en réclamant de nouvelles subventions, non aux Américains tout en réclamant plus d’Europe.
Le vrai problème de cette indigeste constitution, c’est que ceux qui l’ont lue jusqu’au bout de ses 448 articles sont encore à Erasme pour un lavage d’estomac. C’est aussi qu’elle ne contient aucun enjeu, aucun projet, aucun élan, aucune âme. Elle à l’image de ses pères Giscard et de Dehaene, un rafistolage de bric et de broc plus ou moins bien maquillés qu’on appelle un lifting. Quel gâchis ! Fallait-il mobiliser toute la population européenne juste pour recoller quelques morceaux des traités de Rome, de Maestricht et de Nice en y ajoutant une pincée de réformes en trompe l’œil ? Il est temps que l’Europe ouvre la fenêtre à l’imagination.

Alain Berenboom

Mai 2005

Paru dans le journal LE SOIR