IL NEIGE A ROME

Matteo Salvini et Luigi Di Maio, les deux leaders italiens, encore ivres de leur arrivée spumante à la tête de la péninsule, font ces derniers jours assaut de phrases assassines contre la France, l’Europe, les immigrés, les extra-terrestres, tout ce qui permet de faire oublier à leurs citoyens leur incapacité à mettre en œuvre les promesses farfelues qui les ont miraculeusement emmenés au pouvoir.
Pendant la campagne, la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles ont promis aux Italiens d’annexer la Lune, comme jadis l’Ethiopie, et, surprise, ils ont découvert que les électeurs ont pris leurs balivernes pour argent comptant. Comme le disait si judicieusement leur maître à penser, Benito Mussolini, « l’homme moderne a une tendance étonnante à croire ».
Le Duce a aussi fait un autre constat. Celui-là, les Abbott & Costello romains l’ont oublié: « L’Europe peut saisir à nouveau le gouvernail de la civilisation mondiale si elle arrive à réaliser un tant soi peu d’unité politique ».
Un siècle plus tard, dans un contexte politique évidemment différent, cette phrase a pourtant une singulière résonnance dans une Europe désabusée, écartelée, divisée. A quelques semaines d’une élection où les cousins de Salvini et Di Maio espèrent gripper la machine européenne. « Siam pronti alla morte !» (« Nous sommes prêts à la mort ») chante l’hymne national italien. On dit ça…
De gouvernail, il n’y en a plus. Et plus de bateau européen. Les vingt-sept vaporetti s’en vont chacun de leur côté, sans plus se soucier les uns des autres ni surtout des passagers. Pendant que le vieux destroyer britannique coule sous le même regard indifférent des dirigeants de l’Union et de la Commission que les coques de noix des réfugiés dans la Méditerranée. « Rule Britannia !»
Or, au milieu de cette tempête, voilà que surgit soudain Berlusconi, tel Otello dans l’opéra de Verdi.
« Le Caïman » (comme l’avait si bien portraité Nanni Moretti) a pourtant accumulé plus de casseroles dans une vie politique que tous les dirigeants de la démocratie chrétienne en cinquante ans.
Mais, surprise, dans cette Italie à la dérive, sua Emittenza apparaît presque comme le sauveur de la démocratie. C’est dans ce fantôme cryogénisé que les adversaires de la Ligue et des Cinq étoiles voient le seul recours pour éviter la noyade sous la boue populiste. Ce qui rappelle le destin d’un autre inoxydable de la politique italienne, G. Andreotti (lui aussi héros d’un film cruel sur l’état de la politique italienne, « Il Divo » de Paolo Sorrentino.)
Dans ce contexte crépusculaire, certains proposent de rayer Rome du nom de l’acte fondateur de l’Europe.
Toujours prêt au compromis, Berlusconi est prêt à conclure un nouveau traité dans sa villa de Sardaigne et à fêter la signature dans une super soirée bung-bunga.  

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REVIENS, MARCELLO, ILS SONT DEVENUS FOUS !

S’il vous faut un prétexte pour un city trip à Rome, allez vous nettoyer les yeux, le cœur et la mémoire avec l’exposition Marcello Mastroianni, qui vient de s’ouvrir au Museo dell’Ara Pacis (jusqu’au 17 février 2019).

Pas seulement pour alimenter la nostalgie des années soixante mais aussi pour retrouver cette Italie que l’on aime et qui s’aime, loin de ce pays en pleine convulsions où le vibrionnaire Salvini a remplacé, en pire, Berlusconi, le petit arrangeur. Le haineux défenseur de l’esclusione a pris la place du maître de la combinazione.

Fellini (qui a dirigé cinq fois Mastroianni) disait à un de ses distributeurs belges, M. Luel, que le cinéma italien depuis la fin de la guerre a permis à ses compatriotes d’oublier Mussolini. Un cinéma d’une incroyable richesse mêlant comédies, films sociaux ou politiques et œuvres poétiques. Et qui a vraiment contribué, croyait-on, à façonner l’Italien de la fin du vingtième siècle grâce à la culture pendant que l’économie tournait à plein régime.

Les personnages incarnés à l’écran par Mastroianni, mais aussi par Gassman, Manfredi et les autres, sont en effet à des années lumières des petites frappes qui défilaient au pas de l’oie devant le Duce ou exécutaient ses basses œuvres. (Une dictature qui a tout de même écrasé la péninsule pendant vingt ans).

Pour citer deux excellents films de Mastroianni, en quelques années, on est passé en Italie de « la Dolce Vita » à « Dommage que tu sois une canaille. »

Pendant ce temps, les étoiles du cinéma italien se sont éteintes sans qu’elles ne soient remplacées par une nouvelle génération qui ait cette magie. On a l’impression étrange qu’avec la quasi disparition de son cinéma, l’Italie a perdu son âme. Ce n’est pas une coïncidence qu’elle soit survenue au moment où Sua Emittenza prenait à la fois le pouvoir et l’audiovisuel. C’est lui qui a remplacé la délicatesse des comédies par les défilés de fausses blondes sur tous les écrans de télé (ce qu’annonçait « Ginger et Fred » de Fellini où un Mastroianni vieillissant perdait pied en direct devant les tristes girls). « Touche pas à la femme blanche » avait pourtant prévenu Marcello dans un film de Ferreri!

Héritier de Forza Italia, le fantasque Mouvement des Cinq Etoiles, déjà à la dérive, et les redoutables populistes de la Ligue ont transformé les citoyens italiens en autant de « Pigeons ».

Revoyez aussi une « Journée particulière » de Scola où Mastroianni, journaliste homosexuel renvoyé de son boulot, se retrouve dans son immeuble avec une mère de famille (Sophia Loren) écrasée par sa vie domestique et ses six enfants pendant que la radio diffuse l’accueil d’Hitler par Mussolini non loin de là. Et cette réplique : « Ce n’est pas le locataire du 6e étage qui est anti-fasciste. C’est plutôt le fascisme qui est anti-locataire du 6e étage »…

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