LE TRESOR DE MEME

Le sauvetage de Fortis et de Dexia a donné des idées. On croyait les caisses de l’état vides. Erreur. Mémé avait caché dans un placard, sous plusieurs couches de vieux pulls troués par les mites, derrière la pile de journaux qu’elle avait gardés de l’époque où la Belgique était heureuse (la première victoire de Merckx, le mariage de Baudouin et de Fabiola, la visite du pape, la demande de naturalisation de Johnny Hallyday) quelques lingots d’or. Ce trésor, qui avait échappé aux Allemands et à tous les gouvernements dépensiers qui les ont suivis, mémé avait décidé cette fois de le sortir de sa planque. Pour une juste cause. L’effondrement des mines, de la sidérurgie ou de la Sabena, c’était pas gai mais tant pis. Mais la Banque qui vacille, c’est la Belgique qui disparaît.
Ainsi donc, l’état avait des économies… C’était le neveu de mémé, monsieur Didier, qui gère ses finances en bon père de famille, qui s’est souvenu de l’or, sous les pulls et les journaux. Naïvement, monsieur Didier croyait que la famille allait se réjouir d’avoir retrouvé le coffre et d’en avoir généreusement distribué le contenu. Pensez-vous ! Depuis, il ne cesse d’être sollicité, harcelé, critiqué. Il a beau dire qu’il a perdu les clés du placard, que d’ailleurs, il n’y a plus rien dedans, qu’il ne connaît pas les autres cachettes de mémé, et que sa mémoire n’est plus ce qu’elle était, rien n’y fait. Chaque jour, ils sont là à supplier, à mendier, à tendre la main. La société Untel qui a tant fait pour la Belgique, les joyeux mijoleurs du dimanche, les supporters de Mouscron, de La Louvière. Et pas seulement les Belges, hein ! On ignore comment ils l’ont appris. Mais, même les Somaliens frappent à sa porte ! Fortis se serait-elle vantée jusque sur les plages de la mer rouge des gentillesses de mémé et de son neveu ?
Cette fois, ce sont les patrons qui montent au créneau. Si les banquiers ont droit aux bijoux de famille, pourquoi pas nous ?
Dites donc, m’sieur Didier, à quelques semaines des élections, vous ne voulez tout de même pas qu’on mette nos employés à la porte, n’est-ce pas ? Alors, un p’tit geste…
Pourquoi ne pas faire payer par le contribuable le salaire de nos employés ? Poliment, on appelle ça la mise au chômage technique.
Le problème c’est que, le trésor de mémé étant dépensé, ne reste que le contribuable pour payer, c’est-à-dire justement les travailleurs qu’on menace de licencier. Autrement dit, pour garder leur emploi, les salariés vont devoir payer à l’état le montant de leur propre salaire pour que les entreprises ne les licencient pas, tout en assurant le salaire, les boni et autres primes de leurs dirigeants. Vous me suivez ?

Alain Berenboom
www.berenboom.com

LE PROCES-VERBAL (EXTRAITS)

Didjé – Je jure que je n’ai jamais téléphoné à un juge de ma vie. Vous me confondez avec Anne-Marie Lizin.
Juge 1 – J’ai pas dit que Didjé m’a téléphoné. J’ai dit que des indices sérieux de présomption me font suspecter que quelqu’un a peut-être…
Yveke – En tout cas, c’est pas moi !
Jo- Moi, j’ai reçu un coup de fil de Yveke qui me disait comme ça que Didjé avait reçu un appel de son collaborateur qui a été informé par l’avocat qui avait parlé au procureur, lequel a signalé que le juge s’était levé de mauvaise humeur et que c’était peut-être pas le jour qu’il prononce son jugement. Mais que le bâtonnier lui a interdit de le confirmer.
Didjé – Mon collaborateur s’est juste contenté de prendre des nouvelles. Dans notre métier, on passe son temps à prendre des nouvelles des gens. Vous n’imaginez pas le nombre de fois qu’on dit « et vous, ça va ? » dans une journée.
Yveke : ça, c’est vrai. Quand j’étais à l’hôpital, ils sont tous venus proposer de me remplacer. Tant d’attention, ça m’a vite remis sur pied.
Juge 2. – Mes collègues sont aussi venus me rendre visite quand je suis tombée malade juste pendant la délibération sur le jugement. Il y en a même un qui est entré par la cheminée, déguisé en père Noël et qui m’a dit : tiens signe ici, c’est juste une carte de vœux pour le président de la cour.
Juge 1 – Elle n’était même pas malade. Juste un peu de dépression.
Juge 2 – Si vous travailliez au palais, vous feriez aussi de la dépression ; et pas un peu !
Didjé – On voit que vous n’avez jamais pointé le nez dans le milieu politique. Moi qui n’ai qu’un plaisir dans la vie, passer la soirée avec un bon livre au fond de mon canapé, je suis obligé de souper avec mes « amis », Gérard et Olivier, pour préparer le petit déjeuner avec mes « alliés », Elio, Joëlleke, Herman et les autres avant d’aller me geler au football puis serrer la main des ouvriers d’usines dont je sais qu’elles vont fermer à la fin du mois, en leur disant avec un beau sourire « tout va bien » ! En rentrant au cabinet, je me fais engueuler par mes collègues étrangers parce que les banques belges entraînent celles de leurs pays dans la déroute et que l’euro s’enfonce à cause de notre dette publique.
L’huissier : – Monsieur le président, la planète vient de basculer sur son axe, les Etats-Unis ont fait aveu de faillite et la Chine a envahi la Russie.
Le Président (en rage) : – Tout est donc prétexte ici pour tenter de freiner le vrai débat, le seul qui intéresse nos citoyens: avez-vous ou non téléphoné au juge qui… ?

Alain Berenboom
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