LA PISTE AUX ETOILES

José Manuel Barroso vient de faire ses adieux à un parlement européen plus vide qu’un terminus des TEC un jour de grève. En le voyant une dernière fois remuer sa bouche, ses bras et beaucoup d’air, je trouvais qu’il me rappelait furieusement le Monsieur Loyal qui présentait le spectacle dans les petits cirques de mon enfance. Essayant désespérément de faire croire que les deux lions miteux qui erraient l’oreille basse sur la piste étaient de redoutables bêtes sauvages à peine débarquées de la savane pour effrayer les petits enfants comme moi. Quand l’équilibriste était vraiment trop maladroit – ou trop saoul- il lançait l’orchestre badaboum ! et racontait des histoires, façon de détourner notre attention. Et il s’empressait de faire évacuer les clowns qui n’avaient fait rire personne pour laisser la place au dresseur de puces savantes.

Comme Mr Loyal, Barroso a passé en revue avec tambour et trompettes, les dix années de sa présidence. Quel talent pour faire passer ses misérables échecs pour de brillantes réussites. Et on applaudit !

Dix années ravageuses pour l’emploi. Le social n’étant pas ou si peu de la compétence de l’Union, on suppose que c’est pour ça qu’il n’a pas prononcé le mot chômage. Ce sera pour les artistes de la nouvelle distribution. En piste, Marianne Thyssen !

La crise ? Ah ! Groz katastroff mais c’est la faute aux Américains. Au suivant !

Le réchauffement climatique ? C’est la faute aux Chinois. Au suivant !

La montée des nationalismes et des néo-fascistes pendant ses deux mandats ? Que me reprochez-vous là ? En Suisse et en Norvège aussi, la peste brune est de retour… Pas non plus le problème de l’Europe.

L’effondrement de l’appétit pour un destin européen commun ? Le rejet par les jeunes de l’Europe ? Barroso ne s’en était même pas rendu compte. Là-haut sur son estrade, tout près de l’orchestre, Mr Loyal n’entend pas les cris du public.

Faut ajouter que sa troupe a largement puisé ses éclopés, bras cassés et autres vieux rescapés dans d’autres cirques en faillite. Le clown blanc, Herman Van Rompuy n’a pas réussi à dérider l’assistance une seule fois. Et l’auguste, la pourtant joyeuse Catherine Ashton, n’a fait rire que Vladimir Poutine, ce qui est idiot, vu qu’il n’a pas payé son ticket.

L’Europe voulait du souffle. Elle a eu une baudruche. Son erreur a sans doute été de moisir avec de vieilles attractions au lieu de mettre l’imagination au pouvoir. Plutôt que de s’inspirer de vieux cirques malades, il aurait dû regarder le cirque Plume pour se réinventer dans la légèreté, le musée Guggenheim de Bilbao pour redonner des ailes aux villes endormies…

Et si c’était les choses inutiles qui allaient sauver l’Europe ? La seule chose que les autres continents nous envient.

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AU CONFLUENT DE DEUX FLEUVES

   Les hommes et femmes politiques ouvrent-ils encore un livre depuis qu’ils ont découvert Tweeter ? A la pointe des technologies modernes comme tous les eurocrates, Herman Van Rompuy s’est empressé de convertir ses discours en haïkus. Mais, devant la popularité et la lisibilité de sa politique, on se dit qu’il devrait peut-être puiser son inspiration dans un autre rayon de sa bibliothèque.

D’autres se veulent plus chics et s’empressent de picorer dans l’un ou l’autre « classique » dont les « meilleures » phrases, libres de droits, apparaissent d’un simple clic dans les dictionnaires des citations sur la toile. Citer Montaigne ou Chateaubriand permet d’apparaître à la fois rassurant (on se réfère aux « anciens »), intelligent (on sait lire) et très classe.

On ne s’étonnera donc pas d’entendre Bart De Wever utiliser quelques propos de Tocqueville plutôt que de Tom Lanoye ou de Dimitri Verhulst. Et dire tout le mal qu’il pense des intellectuels flamands tant qu’ils sont vivants. Et qu’ils n’avancent pas dans le sens des aiguilles de sa montre.

Ne boudons cependant pas les auteurs anciens. A Steven Vanackere, on pourrait conseiller la lecture de « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » de Stig Dagerman (Actes Sud) même si ses collègues ont préféré lui donner comme cadeau d’adieu « Les mémoires d’Outre-Tombe » de Chateaubriand. « Je me suis rencontré entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves « , écrivait l’écrivain-politicien romantique.

Il n’y a pas de fleuves à Bruxelles. Et, avec le départ de Vanackere et bientôt celui de Charles Picqué, plus beaucoup d’hommes politiques « zinneke » au confluent de nos deux cultures.

Tous ceux qui, faute d’autres idées, proposent de déchirer le pays feraient bien de lire Chimamanda Ngozi Adichie. A trente-cinq ans, déjà la plus brillante des écrivains africains. Née au Nigéria, elle raconte dans ses deux romans et un superbe recueil de nouvelles qui vient de paraître (« Autour de ton cou », Gallimard), les blessures laissées par la guerre civile qui a ensanglanté son pays il y a cinquante ans et qui expliquent que, malgré sa manne pétrolière, le Nigéria piétine dans la violence, la division, l’incapacité de construire une démocratie, bref, la barbarie. « Comment une histoire aussi vraie pouvait-elle être dépassée ?» demande un personnage. Magnifique pouvoir de la fiction d’expliquer le monde. De le faire sentir. Mais aussi de le faire aimer même quand il vous prend à la gorge. «Grace réfléchirait longuement à cette histoire, avec une grande tristesse, et elle en viendrait à établir un lien très clair entre éducation et dignité, entre les faits évidents et tangibles qui sont imprimés dans les livres, et ceux, doux et subtils, qui se déposent dans les âmes.»

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CHAOS OU K.O. ?

Monsieur Van Rompuy à l’Europe et la planète Belgique est bouleversée ? Allons ! Qui, il y a quelques mois, se rappelait même de cet ancien ministre de Jean-Luc Dehaene ? On le disait triste, chafouin, sans charisme et maintenant, le monde nous l’envie. A quoi tient le charme en politique ? De toute façon, les cimetières de l’histoire belge sont remplis de premiers ministres irremplaçables. Désormais, en politique, c’est comme au cinéma et en musique. Un homme (ou une femme) qui ne collait pas hier à la fonction ou qui avait sombré dans l’oubli et le désamour peut faire son grand retour et dynamiter l’audimat. Mickey Rourke ressuscité par The Wrestler comme jadis Jerry Lewis par Scorsese et Kusturica ou Charles Trenet par Higelin.
Alors, après le départ d’Herman, qui va renaître de ses cendres ? Yves Leterme, qui puise ses gags auprès du burlesque Jerry Lewis ? Ou Didier Reynders, catégorie lutteurs désespérés façon Mickey Rourke ?
Yves Leterme, on ne s’en est pas assez aperçu, est le reflet parfait de notre époque. Comme disent les ados il est « destroy de chez destroy ». L’image même du chaos. Contrairement à ce qu’il pense, le ministère des affaires étrangères lui colle admirablement à la peau. Personne n’incarne mieux que lui la situation internationale. Dès qu’il ouvre la bouche, on a l’impression d’entendre une bombe exploser et dévaster les environs sans raison apparente. C’est ce qu’il peut apporter de mieux en prenant la tête du gouvernement : un électro-choc permanent dans un pays que Van Rompuy a réussi à assoupir, selon les sages méthodes du bon vieux CVP.
Avec Didier Reynders, c’est un autre type de chaos qui se prépare : le K.O. debout.
Avec tous les coups qu’il a pris ces derniers mois, le rôle de Mickey Rourke lui va comme un gant – de boxe. Sonné au premier round, il s’accroche et se relève juste avant la fin du décompte fatidique. Aussitôt, il reçoit un uppercut puis un gauche qu’il pare mollement en se tenant le plexus solaire. Même son entraîneur lui file un coup de boule. Que les coups viennent de l’adversaire ou de son équipe, pas de problème, il pare toujours et reste sur ses jambes jusqu’au dernier coup de gong.
Entre ces deux stars de notre temps, on peut hésiter. De quoi a besoin la Belgique ? De se tordre de rire ou de recevoir un bon coup de boule ? Des deux peut-être ? Alors, si une fois de plus, nous innovions sur le plan institutionnel ? En nommant deux premiers ministres. Ou trois ou cinq, qui gouverneraient tous ensemble, chacun avec son fichu caractère. Il y en aurait bien un de temps en temps qui ferait tourner le bazar.

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