OU SONT LES SLOWS D’ANTAN ?

Il est parfois sain de se remettre en question. La période angoissante que nous traversons permet de s’interroger sur les interdits que l’on a peu à peu érigés en dogmes. Et de relativiser certaines attitudes que l’on croyait indiscutables. La priorité aux transports en commun, par exemple. Comment ne pas saluer l’usage de l’auto individuelle pour limiter la promiscuité dans les bus, métros et même le co-voiturage ? Une voiture par personne, une activité politiquement incorrecte remise à l’ordre du jour grâce au virus. Cette petite crasse devrait encourager aussi le retour du tabac. Fumer est en effet excellente pour éviter la promiscuité. Plus question que les gens ne s’approchent les uns des autres à moins d’un mètre. Mais où sont les slows d’antan ? 

Autre progrès causé par la situation sanitaire actuelle, l’interdiction des gros rassemblements. Ce qui va régler d’un coup le problème jusqu’ici insoluble des débordements dans les stades. Fini de laisser ces bandes d’imbéciles, se pressant dans les travées, brailler impunément des slogans racistes. Nous en voilà débarrassés puisque les matchs seront joués à huis-clos. Et bientôt avec des footballeurs virtuels pour éviter tout contact humain.

Le cinéma d’auteur devrait également connaître un regain. On n’osera plus se presser dans les salles pour regarder des blockbusters (la sortie du nouveau James Bond a d’ailleurs été reportée de plusieurs mois) alors que dans les salles d’art et d’essai, on pourra conserver le plaisir solitaire du cinéma. Le corona virus pour encourager la découverte de films difficiles, un autre bienfait de l’épidémie. Ce qui montre qu’il faut cesser de décrire l’avenir dans des termes apocalyptiques.  

Montée des eaux ? Tsunamis ? Vagues géantes ? Que des bienfaits, quoi que dise la petite Greta en agitant sa boule de cristal obscur. Car l’horrible virus va être emporté par les flots, mes amis. Y avez-vous songé ? Un virus, ça ne flotte pas, ça coule.

Dire que certains déplorent que nos misérables politiciens ne parviennent pas à mettre sur pied un nouveau gouvernement fédéral, que l’on accumule les ministres de la santé qui passent plus de temps à se réunir pour tenter d’adopter une position commune que pour lutter contre l’épidémie. Ne vous lamentez pas ! Qu’ils restent embourbés ! Plus vite on aura réglé les problèmes politiques, plus vite on écartera le virus et plus vite, on retombera dans les mauvaises habitudes. 

 Et cessons de nous alarmer devant les progrès des petites bêtes qui sont en train de décomposer nos démocraties. Car, comme l’écrivait ce cher Corneille (dans « Le Cid ») : « Et lorsque le malade aime sa maladie, qu’il a peine à souffrir qu’on y remédie »

www.berenboom.com    

SOULIER D’OR

Un frémissement de quelques dizaines de secondes et la capitale d’Haïti tombe en poussières, engloutissant cent mille habitants. Comme il y a peu en Chine ou dans le sous-continent indien. Sans oublier la grande vague du tsunami qui a emporté, il y a cinq ans, avec la même facilité, la même rapidité et la même dérision deux cent mille personnes le long des côtes d’Indonésie et de Thaïlande.
Là, des images en noir en blanc de survivants courant hagards couverts de poussière blanche dans les gravats grisâtres de la première république noire de l’histoire. Ici, un torrent coloré de sons et de paillettes pour la proclamation du Soulier d’or au casino d’Ostende.
Le dit soulier a été décerné à un joueur du Standard et emporté par un de ses fans, notre premier ministre, vu que l’équipe de Liège faisait sa mijaurée. Contrairement à ce qu’on pourrait naïvement penser, la bouderie du Standard n’a rien à voir avec les événements tragiques de Port-au-Prince. Non. Le boycott des dirigeants des rouches s’expliquait par la publication dans Het Laatste Nieuws, le journal organisateur de la cérémonie, d’un sondage dans lequel Axel Witsel, précédent soulier d’or, avait été choisi par les lecteurs comme l’une des sales gueules de l’année – aux côtés de personnages bien plus patibulaires, il est vrai.
Difficile de ne pas mettre en parallèle le même soir la fragilité de la planète et l’honneur perdu du soulier d’or.
Mais ce qui rapproche surtout les deux événements, c’est l’importance des médias dans leur perception.
Le redoutable tacle du joueur du Standard sur un défenseur d’Anderlecht n’a pris la proportion d’une affaire nationale, d’un fait de société, qu’en raison de la présence de caméras filmant en direct le match phare de la saison.
Le tsunami comme l’effondrement de Port-au-Prince sont ressentis comme une tragédie, moins par leur gravité et leur nombre de victimes que par l’intérêt que leur ont porté immédiatement les média. Un cataclysme au fin fond de la Chine n’existe pas car les reporters internationaux ne peuvent accéder au lieu de la catastrophe. Alors qu’Haïti, c’est l’Amérique qui tremble. Une île phare de l’histoire coloniale, une île symbole des échecs répétés du premier projet d’indépendance des Noirs d’Amérique. Grâce aux média, l’aide internationale va se déployer avec d’importants moyens comme ce fut le cas en Thaïlande. Mais le risque de cet œil braqué sur l’île martyr est que l’événement soit « aplati » par les télés, un drame entre deux autres, une émotion de quelques jours entre un nouvel avatar liégeo-anderlechtois et la réapparition pathétique de Michel Daerden.