LA LISTE DE MES ENVIES

En ces temps indécis, le réflexe naturel est de chercher au cinéma (comme dans les livres) l’explication de nos tourments, le mode d’emploi pour en sortir ou pour se sentir moins seuls. Mais, si le cinéma a souvent été le miroir du monde, il ne faut pas lui demander de réfléchir. Les films – ou livres – à messages sont généralement insupportables. Il est déconseillé de s’asseoir dans une salle de cinéma en agitant un écriteau. C’est inutile parce qu’il fait noir et puis ça gêne la vue des autres spectateurs.

Hitchcock disait qu’un film n’est réussi que si le méchant est réussi. C’est dire qu’il ne faut rien attendre d’un cinéma pavé de bonnes intentions…

Rien, vraiment ? Comme je suis aussi avocat, je m’empresse de soutenir à présent la thèse contraire !

Tenez, l’un des plus beaux films de 2014 (en lice pour l’Oscar du Meilleur film étranger) s’appelle « Ida » du Polonais Pawel Pawlikowski. Le film relate la recherche d’identité d’une jeune fille. Lorsqu’elle décide d’entrer dans les ordres, elle apprend soudain qu’elle est juive. Une mémoire effacée de force par sa propre famille. Comment doit-elle réagir ? Garder le couvercle fermé et oublier à son tour ce passé qui dérange l’ordre établi ou au contraire s’y plonger ? Y a-t-il sujet plus contemporain» ? Or, au lieu d’être un film à thèse, « Ida » est une œuvre magique pleine d’interrogations, de poésie et de tendresse malgré la noirceur du propos, une noirceur à faire grincer des dents.

Ce qu’on peut dire aussi de « Timbuktu » d’Abderrahmane Sissako (en course pour les Césars) ? Et ajouter que dans ce film-là, en plus, le méchant est réussi… Et que cette crapule-là, hélas, a encore de beaux jours devant lui pour animer des suites, remakes et autres retours…

La corruption, autre thème d’une terrible actualité (et pas seulement en Russie) est le sujet de « Leviathan » d’Andrey Zvyagintsev, nominé aux Oscars (mais pas diffusé dans son propre pays). Il concourt en lice avec l’incroyable « Relatos salvajes » de l’Argentin Damián Szifron (toujours sur nos écrans), une fable dangereusement hilarante et foutrement angoissante sur la violence dans nos relations quotidiennes.

Si le cinoche regarde notre monde tourmenté, que fait dans la sélection des Oscars (et c’est bien mérité !) le dernier film de Wes Anderson « The Grand Budapest Hôtel » ? Avec ce délicieux défilé d’images délirantes, fantaisistes et hors du temps, on semble cette fois loin du cinéma à thèse. Détrompez-vous ! L’univers de ce film faussement désuet et drôlement moderne rappelle singulièrement qu’on n’est jamais vraiment sorti de la terreur des années trente, celle qu’on lit dans les romans de Stefan Zweig, de Graham Greene ou d’Eric Ambler. Comme quoi, plus les choses sont graves, plus on rit…

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DANS LE COCHON, TOUT EST BON !

Nous sommes tous Charlie mais surtout, ne le dites pas trop fort.

Quand le bourgmestre de Welkenraedt crie : vive la liberté d’expression, il veut dire : à Paris. Dans sa bonne ville, c’est différent. L’expo consacrée à la censure a été fermée sur son ordre quelques heures après son ouverture. Sans la moindre menace ni l’ombre d’un djihadiste dans les rues. Cela s’appelle le principe de précaution. Et c’est contagieux. Une expo Charlie au Musée Hergé suspendue après la visite du maïeur d’Ottignies-LLN, accompagné du chef de la police, un festival de cinéma (où l’on projetait « Timbuktu » ou le nouveau film de Marjane Satrapie) interrompu à Tournai par la le maïeur et la police fédérale…

Si les autorités communales et policières font maintenant le boulot des fous de Dieu, les islamistes sont bons pour le chômage…

Reste à annuler les prochaines élections – pour éviter le désordre si la majorité n’est pas reconduite-, condamner les bibliothèques (tous les livres ne contiennent-ils pas des passages qui pourraient heurter la susceptibilité de l’une des millions de minorités de la planète ?) et supprimer l’enseignement obligatoire. Pour empêcher les terroristes en herbe de déchiffrer le mode d’emploi des armes vendues en toute légalité par la F.N.

On s’étonne d’ailleurs que la fermeture des écoles ne fasse pas partie de la panoplie des mesures prises par le gouvernement Michel alors que son impact soulagerait les budgets des communautés.

Hélas, le ver du terrorisme n’est-il pas déjà dans la pomme de Welkenraedt ?

 « De tout temps, les hommes se sont heurtés à un ennemi redoutable : la censure » déclare le site de la « bibliothèque insoumise » (sic) de Welkenraedt. Une vraie provocation…

Cela rappelle la décision prise il y a quelques années par le bourgmestre de Marche, qui avait interdit les représentations de « La Terre » … d’Emile Zola ! Trop osé pour ses administrés, trancha le maïeur – aussi ministre de la culture ! Et le brave homme de déclarer benoîtement au micro d’une journaliste, que lui irait voir la pièce, bien sûr. Mais à Bruxelles !

Jusqu’où s’applique le « principe de précaution » ? La prestigieuse maison d’édition britannique Oxford University Press vient de bannir cochons et saucisses de ses livres pour « ne pas froisser juifs et musulmans ». En revanche, les loups, l’ennemi juré des trois petits cochons, ne sont pas visés. Trop tard, il est vrai : les loups sont entrés dans Paris.

Dans la foulée, on devrait effacer tous les autres animaux pour ne pas heurter les bouddhistes et couper les dialogues au cinéma et au théâtre pour respecter ceux qui font vœu de silence.

Pourquoi ne pas supprimer la télévision, Internet et autres réseaux d’images, ce qui ne signerait pas nécessairement le recul de la civilisation ?

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