EN VERT ET CONTRE TOUS

Hissez les couleurs, mille sabords ! De loin, « La terre est bleue comme une orange » (Paul Eluard). De près, elle scintille de mille couleurs depuis que « la lumière fut », des folles paillettes de la queue du paon à la peau kaléidoscope du caméléon. Il n’y a que chez les hommes que, côté couleur, ça grince un peu.

En entendant crier : V’là les roûches ! Ou Allez les Mauves et Blancs ! les uns se mettent à vociférer et les autres au garde-à-vous. Chacun dans son coin, chacun coincé dans sa couleur. Selon que la mariée s’habille en noir, en jaune ou en violet, l’histoire du couple sera différente. Dans la société homo soi-disant sapiens, la couleur vous colle à la peau. On a beau être riche et célèbre comme Michaël Jackson, changer de peau finit le plus souvent en tragédie.

L’arc-en-ciel, ça existe pourtant. On en rêve. Mais c’est loin, très loin. « Somewhere over the Rainbow » chantait Judy Garland pour échapper au « désordre sans espoir » de ce monde et voler jusqu’au pays d’Oz où « les soucis fondent comme du sorbet au citron ».

Mais, quand les syndicats crient « on est à l’os ! », ils ne célèbrent pas le Magicien. Pourtant, le gris souris des prisons wallonnes n’est pas une fatalité.

La preuve par l’Autriche dont le vert pomme a permis à ce qui reste de l’empire d’échapper au brun sinistre. En espérant que le noir Marine ne recouvre pas la France où le rouge peu à peu rose est devenu presque transparent. Reste comme toujours Angela Merkel dont la couleur extravagante des vestes, canari ou saumon, permet de garder le moral. En attendant de découvrir qui redonnera du Technicolor à l’Espagne.

Chez nous, dès sa mise en place, le gouvernement avait tenté de mêler les couleurs en annonçant fièrement la suédoise. Il s’est plutôt mêlé les pinceaux. Certains observateurs avaient prévenus : le mélange bleu orange avec le noir et jaune sentait bon le kamikaze…

Après deux ans de travaux, chaque couleur fout le camp de son côté. Les murs de la rue de la Loi ont repris l’aspect lépreux dans lequel Charles Michel les avaient trouvés.

Ceux qui rêvent du retour d’une bonne couche de rouge devraient prendre garde. Aux Etats-Unis, le rouge est la couleur des républicains de Donald Trump. C’est le bleu, la couleur des démocrates. Preuve qu’en matière de couleur, tout est relatif et trompeur. Une couleur peut en cacher une autre.

Avec l’Euro de foot, on s’attend à un feu d’artifices mais une fois encore les couleurs ne se mélangeront pas. Au contraire. Dans le sport, c’est chacun pour soi. Peut-on compter alors sur les manifestants qui remuent et bloquent Bruxelles et Paris ? Au lieu de se fâcher tout rouge, ils pourraient aller vérifier, du moins si les trains se remettent à rouler, la légende qui promet un pot d’or à tous ceux qui arrivent jusqu’au pied de l’arc-en-ciel.

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L’OR SE BARRE

Comme tout le reste, certains sports disparaissent en douce des tablettes olympiques. Pourquoi ? Mystère. A la trappe : le dressage des chevaux, le tir à la corde, le croquet, le criquet, la crosse, la pelote basque, le tir à aux pigeons ou le tandem à vélo.

A Rio en 2016, on annonce la disparition d’un des rares sports où la Belgique pouvait encore espérer décrocher l’or, la fraude fiscale.

Sauf à rêver que dans cinq ans, la Suisse, Monaco ou mieux le Liechtenstein soient désignés pour organiser les Jeux, on peut craindre que cette discipline va tomber à son tour aux oubliettes. Ou que, comme le tir aux pigeons, il ne s’exerce plus qu’en petit comité (non olympique), loin des foules, de la gloire et des récompenses. Si l’on ne peut plus toucher ni intérêts ni dividendes des investissements auxquels on a consenti pour être le meilleur au monde, à quoi bon encore concourir ?

Pendant des années pourtant, la fraude fiscale a été chez nous non seulement un sport reconnu mais surtout une activité largement populaire. Le train des petits porteurs partait plusieurs fois par jour de la gare du Luxembourg devant une foule ravie. Ne restent plus aujourd’hui que les restaurateurs pour tenter un dernier baroud d’honneur mais leurs lamentations ne remuent plus personne. Laissez-nous notre noir, crient-ils dans le désert. En vain.

Il est d’ailleurs assez piquant que l’administration fiscale ait baptisé de « boîte noire » la caisse « intelligente » qui enregistre leurs opérations alors que ce mot désignait jusqu’ici le tiroir dans lequel le taulier glissait les billets ni vus ni connus…

Votre journal favori a passé en revue cette semaine la liste de plusieurs de nos médaillés qui ont fait jadis la fierté de notre sport national. C’était peut-être une erreur de donner aux jeunes de si beaux exemples de réussite et de gloire d’artistes ou d’entrepreneurs partis de rien et devenus des vedettes dans leur domaine.

Heureusement, il nous reste quelques héros étrangers, venus notamment de France, attirés par l’expérience de nos coachs, la facilité de développer chez nous leur sport favori, sans compter, en cas de fatigue, la possibilité de trouver facilement quelques gouttes de pot belge.

Reste aussi un tas d’entreprises et de sociétés, surtout parmi les plus opulentes, qui poursuivent le plus légalement du monde cette grande tradition séculaire avec la bénédiction de nos autorités fiscales. On peut même parler d’un véritable sponsoring de leur part puisque certains bénéficiaires du « ruling » ont pu exonérer 90 % de leurs bénéfices en principe taxables.

Allez ! Les supporters ont encore de beaux jours devant eux. «  Waar is da feestje? Hier is da feestje.» «Tous ensemble tous ensemble hey hey hey !»

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LES SENTIERS DE LA GLOIRE

On ne finira donc jamais de pleurer le départ d’Herman Van Rompuy ? En quelques mois, ce petit homme discret aura réussi à pacifier le pays, faire oublier la crise financière, celle de la planète et, plus fort que tout, l’existence de B.H.V.
Voilà qu’on apprend en plus que nous avons laissé échapper le premier ministre le plus cultivé, poétique et intellectuel de l’après-guerre. A la fois Superman, Brautigan et Robert Aron.
Qu’allons-nous devenir alors que son successeur a choisi plutôt de s’illustrer comme supporter d’une équipe de football en perdition – forcément en perdition?
Imaginons un instant l’histoire inversée : Van Rompuy hantant les travées du Standard en hurlant son amour désespéré des « Rouches » et Yves Leterme discourant sur l’enseignement d’Emmanuel Mounier et des autres « personnalistes » de l’Ordre Nouveau, ces « nouveaux intellectuels » des années trente hésitant entre gauche chrétienne et anti-modernisme réactionnaire ?
Leterme serait-il alors devenu président de l’Europe et Van Rompuy, le Gerald Ford de la politique belge ? Pas sûr…
Notre star politique a eu la prudence de ne pas mettre trop en avant ses goûts philosophiques alors qu’Yveke, qui veut toujours tout faire trop bien, n’aurait pas manqué de souligner son admiration pour Robert Aron et Arnaud Dandieu qui, dans leur livre « Le cancer américain », démolissent le modèle de civilisation nord-américain : « Les Etats-Unis doivent apparaître comme un organisme artificiel et morbide » dont l’esprit souffre « d’une crise de conscience et de virilité ». Ambiance.
A part la référence à la virilité qui devrait l’intéresser, on doute que Sarkozy eût déployé autant d’énergie à soutenir la candidature d’Yveke qu’il a mis à défendre notre discrète éminence.
Yveke n’aurait pas manqué aussi de rappeler, ce que Herman a eu la délicatesse de taire, que ses maîtres, Alexandre Marc ou Robert Aron ont été d’ardents fédéralistes européens. Comme Denis de Rougemont, un des premiers militants de la cause écologiste. Malgré le concert assourdissant de Copenhague, il ne faut pas croire que le message écologique soit plus populaire que le fédéralisme auprès de la plupart des chefs d’états européens.
De son côté, Herman footballeur n’aurait sans doute pas mis le même enthousiasme que notre pauvre Leterme à se faire photographier, revêtu de la défroque des Rouches, entre les frères D’Onofrio et le délicat Axel Witsel. Il aurait attendu la fin de la saison pour décider quelle équipe avait ses préférences.
Ce qui prouve que le véritable maître à penser de notre Herman, quoi qu’il dise, est en fait le roi de Syldavie, Ottokar IV, dont on connaît la devise en forme de haïku : « Eih bennet, eih blavet ».

Alain Berenboom
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