HARA-KIRI & CHARLIE VONT EN BATEAU

« Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes » écrivait Henri Calet. Voilà la phrase qui m’est revenue en apprenant l’attentat contre Charlie Hebdo. Et, en même temps, une autre, de Cabu celle-là : « C’est dur d’être aimé par des cons » (et, comme c’est le prophète qui le dit, ce doit être vrai).

Les grandes plumes de Charlie-Hebdo, c’était ça, un mélange de provoc et d’émotion, d’humour ravageur et d’amour des gens, de la vie, de ce qui est bien.

J’ai découvert leur humour bête et méchant dans les années soixante.

Une époque de rêve pour tous les nostalgiques – ah ! ces fameuses golden sixties ! -, oubliant sa face sombre. La France de ce temps-là s’était totalement momifiée. Elle étouffait sous un régime ronronnant et conservateur, dirigé par un vieil homme autoritaire. Une presse radio-télévisée muselée, une vie politique éteinte, comme une partie des créateurs, secs, sages, soporifiques. Le nouveau roman était une machine à remonter le vide et la nouvelle vague au cinéma avait oublié l’importance des scénaristes.

C’est alors que jaillit Hara-Kiri (suivi après son interdiction par Charlie-Hebdo).

J’ai le souvenir comme ado d’être passé directement de Spirou à Hara-Kiri. Et d’avoir ainsi découvert la force de l’impertinence, l’importance du pied de nez, le droit d’écrire pas très chic mais drôlement choc. Ce fut une gifle, une bouffée d’oxygène à doses massives, un renversement des idées sages que je croyais immuables et dont je ne percevais que confusément qu’il fallait les bousculer, les renverser par la satire et la dérision.

Le professeur Choron me donnait le droit de jeter au feu Butor et Robbe-Grillet. Ouf ! En quelques traits, Cabu rendait si conventionnelles les images de Chabrol et Godard si pompeux et si creux. La liberté, c’était Reiser, Wolinski, Cavanna. La poésie, Gébé ou Fred et tant d’autres. Leur art permettait de remettre à leur juste place Swift et Jarry, Allais et Daumier, leurs glorieux et provocants ancêtres. Quelques années plus tard, j’ai abandonné Charlie Hebdo qui avait perdu de son peps, à son tour momifié – mais pas la plupart des auteurs qui chacun de leur côté continuaient leurs œuvres de destruction massive.

Et puis Charlie est revenu. L’époque avait changé, elle avait à nouveau besoin et d’urgence de leur acide pour trouer les nouveaux conformismes, idées toutes faites, politiquement correctes et autres langues de bois. Philippe Val puis Charb avaient réussi à refaire de Charlie-Hebdo un remède contre les certitudes et misérables fatwa de tous bords. Fous d’Allah autant que fans de Zemmour et d’Houellebecq.

Il a fallu une bande d’abominables cons pour croire qu’ils pouvaient tuer ce remède contre la connerie…

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