CRISE EN THEME

Depuis combien de temps nous promet-on pour bientôt « le bout du tunnel » ? Cette éreintante litanie qui nous force à arpenter des voies sans fin. 

Le ton a changé au début du mois. On nous a alors poussés dehors. Allez, ouste ! Respirez le printemps ! Cueillez des fleurettes, humez les nouvelles pousses ! 

Patatras, ça n’a pas duré ! Cette semaine, retour brutal du frisbee. On nous ordonne soudain d’éviter tout commerce avec les autres. Et de retourner arpenter à quatre et masqués ce fichu tunnel, qui nous mènera peut-être en été… Qui sait ?  

Rappelez-vous cependant cette réflexion du dirigeant du syndicat français CGT quand Jacques Chirac a lui aussi prétendu voir « le bout du tunnel » : « S’il voit le bout du tunnel, c’est qu’il marche à reculons et qu’il confond l’entrée avec la sortie. »

Comme lui, nous avons l’impression de retourner un an en arrière quand tout a commencé et que déjà on nous assurait que dans deux, trois mois, nous verrions le bout…

On l’a compris, seule une vaccination de masse pourra remettre le wagon sur les rails. Mais elle s’étire, patine. On perd son temps à discuter sur le système d’inscription, le nombre de téléphonistes. On s’étripe pour décider qui vacciner après les ancêtres, les vieux et les survivants. Les profs ? (A quoi bon ? Ils n’ont plus d’écoles). Les flics ? Les bibliothécaires ? Les gars des immondices ?  

Pourquoi ne pas donner la priorité aux maîtres-nageurs ? Ils sont en première ligne puisque leur mission est de nous arracher aux nouvelles vagues et nous avertir de l’arrivée des prochains tsunamis (les précédents, on ne les a pas vus venir). 

Surtout, nous prévient-on, que ce vicieux virus n’arrête pas de muter. Quand il se met à s’exprimer en anglais, il est terrible sans doute parce qu’on ne comprend pas ce qu’il raconte. Et attention au redoutable brésilien, qui danse la samba dans nos pauvres organismes, défiant l’interdiction des carnavals. 

Depuis peu, on a trouvé une variante liégeoise qui ferait passer les boulets à la sauce chasseur pour un plat végétarien. Et certains évoquent à présent un variant molenbeekois très explosif. Malgré les protestations de la bourgmestre qui assure qu’il est devenu doux comme un mouton. 

Va-t-on nous expliquer bientôt qu’il nous faudra autant de vaccins qu’il y a de mutants ? Nous risquons d’avoir le bras plus troué que certaines stars de la pop disparues prématurément ! 

Cessons de pleurnicher ! disent certaines expertes. Après tout, les baby boomers que certains envient ont un long passé de tunnels et de crises successives depuis la fameuse crise pétrolière de 1973. Et cette errance dans l’obscurité a produit aux yeux des générations qui les ont suivis des mirages chatoyants et des inventions mirobolantes. Web, web, web, hourrah ! 

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UNE TRANCHE DE PISA

   Quelle idée saugrenue d’avoir publié les résultats de l’enquête Pisa sur l’état des connaissances de nos ados juste avant le passage de Saint Nicolas ! 

  C’est un peu comme le black Friday organisé fin novembre, qui a pour effet de tuer les soldes de janvier.

  Franchement, nos ados ne sont pas des champions de la lecture – ni des maths, ni des sciences. La Belgique occupe le dix-huitième rang de ce fameux classement, bien après les Estoniens, juste avant les Français, pas très futés non plus. 

  Si le grand saint a pris connaissance du document, que voulez-vous qu’il fasse ? Sinon renoncer à se glisser dans beaucoup de cheminées du royaume pour laisser la place à son méchant acolyte, le père Fouettard. 

Au lieu de chocolats et autres douceurs, les malheureux bambins vont recevoir des livres, journaux, revues, tous imprimés sur papier, bêrk ! juste ce qu’ils détestent. Lire est considéré comme une perte de temps par 40% des garçons (26 % des filles). Obliger les enfants à lire est autrement plus efficace que le fouet ! m’a confié Zwarte Piet.  

  Reste à sélectionner les bouquins du Père Fouettard. 

  Sous le titre « Le bonheur de lire », la Fédération Wallonie-Bruxelles publie une liste de recommandations qui changent habituellement des auteurs repoussoirs que certains profs s’obstinent  à imposer. Des livres qui leur feront découvrir le plaisir de lire – à condition que les enseignants renoncent à cette manie d’imposer aux élèves la rédaction d’une fiche de lecture. Laissez-les jouir ! 

Parmi les suggestions (qui feront aussi le bonheur des parents), Joyce Carol Oates, Gaël Faye (Petit Pays), passé avec talent du slam à ce témoignage très fort de son enfance au Burundi ou la splendide prose de la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, « Americanah » qui raconte avec dérision son arrivée et son séjour aux Etats-Unis. On retrouve aussi le superbe roman de science-fiction « apocalyptique », drôle, émouvant, passionnant « Station Eleven » de la Canadienne Emily St John Mandel et celui de Robert Charles Wilson, « Spin », qui décrit les effets de ce mystérieux filet qui entoure notre planète…

Bel exemple pour faire aimer la littérature que « La Reine des Lectrices » d’Alan Bennett ou comment la reine Elisabeth II s’est vue obligée d’emprunter un livre au bibliobus qui stationnait devant le cuisines de son palais… 

Fort heureusement, le polar est aussi à l’affiche, notamment avec la trilogie du Millenium de Stieg Larsson, celle sur le Berlin nazi du très britannique Philippe Kerr ou l’ « Epouse disparue » de Leif Davidsen, peut-être le plus passionnant auteur du Nord (pourtant ils se bousculent) qui souvent comme ici place ses intrigues dans une Russie en pleine déliquescence.  

Si, après ça, vos gniards préfèrent quand même chocolat et jeux vidéos, c’est à désespérer de l’avenir de l’humanité !

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