PARADIS POETIQUES

Ils ont tant fait rêver les poètes du début du siècle dernier lorsqu’ils chantaient les terres lointaines. Cendrars : « J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares », Marcel Thiry : « Toi qui pâlis au nom de Vancouver ».

Pourquoi ne s’est-il pas trouvé dans le train des épargnants Bruxelles-Luxembourg un seul génie pour vanter la sombre et mystérieuse beauté des paradis fiscaux ? Trois heures aller, trois heures retour, cela suffit pour trousser quelques vers, non ?

Hé bien, non ! Personne n’a jamais célébré ces destinations pourtant secrètes, donc poétiques.

« Toi qui pâlis au nom de Luxembourg » n’a fait frissonner que quelques dentistes belges, serrant leurs petites serviettes pleines de coupons, au passage des gabelous quelque part du côté d’Arlon, priant pour qu’ils contrôlent un autre compartiment.

Pas plus de succès avec : « J’étais à Luxembourg, dans la ville des mille et trois banques belges, françaises, allemandes et de sa gare toujours plus grande. »

Les paradis fiscaux n’ont plus la cote ? C’est qu’ils ont eu tort de ne pas investir à temps dans le financement des artistes, dans le sponsoring. Qui aurait osé s’attaquer à Vaduz, Nicosie, Andorre ou Diekirch si des plumes les avaient rendues immortelles, mythiques ? Monaco a voulu tenter le coup en invitant quelques sportifs, Justine Henin, Philippe Gilbert, Tom Boonen ou Axel Merckx, oubliant que la gloire des champions est éphémère. Depuis qu’ils sont rentrés au pays et beaucoup déjà oubliés, Monaco n’est plus qu’un bête rocher auquel les eurocrates peuvent s’attaquer sans que personne ne le défende.

Ils auraient dû se rappeler que Panama est pour toujours dans nos rêves grâce à Blaise Cendrars : « C’est le krach de Panama qui fit de moi un poète ! » (« Le Panama ou les Aventures de mes sept oncles »).

Ils auraient pu aussi se servir de Baudelaire (dont les droits sont dans le domaine public, excellent investissement !) pour transformer un banal aller-retour vers la banque en une aventure inouïe: « Qu’éprouve-t-on ? que voit-on ? des choses merveilleuses, n’est-ce pas ? des spectacles extraordinaires ? Est-ce bien beau ? et bien terrible ? et bien dangereux ? – Telles sont les questions ordinaires qu’adressent, avec une curiosité mêlée de crainte, les ignorants aux adeptes. On dirait une enfantine impatience de savoir, comme celles des gens qui n’ont jamais quitté le coin de leur feu, quand ils se trouvent en face d’un homme qui revient de pays lointains et inconnus » (« Les Paradis Artificiels »).

Ces gens d’argent n’ont rien compris. Personne ne défendra Luxembourg, La Valette ou Jersey mais que l’on ose s’attaquer à Hollywood, et la terre entière s’enflammera.

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DANS LE COCHON , TOUT EST BON

Sanction de la mondialisation ? De ses excès et de la crise ? Le nationalisme revient à la mode. Pour justifier sa petite entreprise, M. Modrikamen n’hésite pas à retrouver les trémolos tricolores d’une autre époque et dénoncer l’épouvantail français alors que sa « banque belgo-belge » serait surtout chinoise.
La grippe aussi a retrouvé les bons vieux accents nationalistes. Lors de son apparition, on l’avait baptisée « porcine ». Maintenant qu’elle s’étend sur toute la planète, elle est devenue « mexicaine ». Dans les restos, on respire. La côte de porc et le cochon de lait sont revenus à la carte. Et les tortilla rebaptisées omelette jambon. Ouf ! Dans le cochon, tout reste bon.
Mais l’étiquette, on s’en doute, ne fait pas l’affaire des Mexicains qui se battent pour refiler la patate chaude. Les meilleurs spécialistes en communication ont été mobilisés pour trouver un nouveau vocable avant que l’épidémie ne tue le commerce national. Les Espagnols n’en veulent pas. Ils rappellent à juste titre qu’ils ont déjà donné. Trente millions de morts.
Comme les paradis fiscaux ont mauvaise presse, pourquoi ne pas renommer la grippe liechtensteinoise ? a proposé un spécialiste. Mais les medias risquent de renâcler devant la complication. Saint Marin, Caïman ? Des étiquettes trop exotiques pour l’horrible virus dont l’image évoque plutôt le froid et la pluie.
Grippe belge, alors ? a suggéré un autre conseiller en éternuant bruyamment. Voilà un paradis fiscal idéal pour notre nouveau virus. Un nom connu, associé déjà, grâce à l’Europe, à la critique, à la raillerie et à la détestation.
Aussitôt, Didier Reynders a poussé un lamento déchirant et protesté officiellement auprès du gouvernement mexicain: grâce à ses efforts, la Belgique a échappé de peu à la liste noire des paradis fiscaux. Ce n’est pas pour y revenir par le biais de l’influenza. Les conséquences pour la gastronomie nationale risquent d’être catastrophiques. A quoi bon avoir sauvé le porc Cross & Blackwell si c’est pour tuer le bœuf bleu, blanc, belge ?
Le leader du M.R. soupçonne d’ailleurs que ce projet diabolique a été concocté par son rival socialiste. Certains laissent entendre que M. Reynders aurait chargé l’efficace détective de Jean-Marie Dedecker d’enquêter pour mettre à jour la mexican connection qui lie Mexico à Mons. Voilà qui expliquerait l’étrange silence de Jean-Claude Van Cauwenberghe et de José Happart sur les détails de leur « mission » en Californie : de San Diego à Tijuana, il n’y a qu’un pas. Redevenus amis-amis avec Elio Di Rupo, les deux hommes ont-ils négocié en secret ce mauvais coup ? Suite au prochain numéro…

Alain Berenboom
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