MACADAM A DEUX VOIES

La fin de l’année a été marquée par deux événements en Belgique, le début timide de la vaccination sous les flashs et caméras et les images, devenue virales elles aussi, d’un cycliste bousculant une petite fille dans un petit chemin des Fagnes filmée par son papa.

L’émotion suscitée par ces images, la vague de commentaires sur les réseaux sociaux peuvent laisser pantois. Si le geste est volontaire, il est scandaleux, s’il est involontaire, il est très maladroit. Mais la petite fille est indemne, dieu merci, et l’incident, en temps ordinaire, n’aurait même pas eu droit à une ligne dans Vers l’Avenir. Comment expliquer alors que la Belgique entière se soit enflammée devant cette vidéo ? 

On peut y voir le ras-le-bol exaspéré de tous ceux qui supportent mal l’essor et le succès du vélo ces derniers mois. En l’absence de toute politique favorisant une coexistence harmonieuse entre automobilistes et cyclistes (saluons tout de même le réaménagement du pont Fraiteur à Ixelles et les pistes cyclables somptueuses de l’avenue Roosevelt). Ce ras-le –bol est encore exacerbé par l’entrée en vigueur (à contretemps) du 30 km généralisé dans les rues de Bruxelles. 

Ce projet est pourtant sympathique mais il n’a de sens que si cette mesure était un début et non pas une fin. Or, on a le sentiment que pour la ministre bruxelloise de la mobilité, Elke Van den Brandt, le job est terminé depuis qu’elle a placé ses panneaux flambant neuf limitant la vitesse et lancé les pandores à la chasse aux contredanses.  

Alors que cette mesure n’a de sens que si on organise la coexistence entre tous les utilisateurs du macadam, autos, vélos, trottinettes, voitures d’enfant, fauteuils d’handicapés. Plutôt que de bêtement les « coller », il faut apprendre aux automobilistes à respecter les cyclistes et à certains rois de la petite reine de ne pas se comporter avec arrogance et parfois provocation. Et ça, ça demande plus d’efforts, de sueur et d’imagination que de planter des panneaux et de fliquer les bagnoles…

D’autant que l’entrée en vigueur de cette mesure en pleine pandémie tombe mal car elle s’ajoute aux restrictions et interdictions exceptionnelles dans une démocratie que les citoyens doivent supporter depuis neuf mois.

Pour que la politique de la Ministre de la Mobilité ne devienne pas une course de cache-cache avec la police, qu’elle ne donne pas l’impression d’être un bon prétexte pour remplir les caisses de la Région, il faut qu’elle soit expliquée, partagée, qu’elle apparaisse comme un besoin, une nécessité par les utilisateurs de la voie publique, pas comme une brimade. 

Comme l’écrivait David Thoreau : « La loi n’a jamais rendu les hommes plus justes ». Pour cela, il faut faire appel à leur intelligence, pas à la police !  

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FINI DE RÊVER !

Un musicien est en train de jouer devant le public pendant qu’un autre artiste montre ses œuvres lorsqu’une horde de policiers débarque dans la salle, interrompt la séance, fait sortir les spectateurs, les mains sur la tête, et embarque quelques participants.

La scène se passe à Bruxelles. Pas à Téhéran. Ni à Kinshasa. Même pas à Damas.

Ce sont de vrais policiers, pas des provocateurs déguisés. Des « Feds » avec les braves pandores du bourgmestre de Bruxelles.

On nous a dit qu’il y avait des étrangers dans la salle, explique notre populaire ministre de l’intérieur. Certains d’entre eux pire que des étrangers : des réfugiés. Un statut intermédiaire entre l’homme de Neandertal et l’animal de (mauvaise) compagnie.

Mr Jambon qui connaît le pouvoir des mots a compris que sa fonction est de garder l’Intérieur à l’abri de toute influence extérieure. Oubliant que si l’on ferme les portes et les fenêtres, on meurt étouffé.

Les artistes ne sont pas au-dessus des lois. Mais quand ils sont en représentation, ils ne sont plus de simples individus, des quidams anonymes, ils nous apportent aux spectateurs qui se sont rassemblés une part d’âme. Ils ne sont ni Belges ni étrangers. Mais des passeurs de rêve, ce qui, autant que le pain, est indispensable à la survie de notre société.

La violence provoquée par le vice-premier ministre rappelle cette phrase redoutable lancée par le tsar aux Polonais après l’annexion du royaume par la Russie : « Fini de rêver ! »

Dans son superbe roman « Station Eleven » (édit. Rivages), Emily St John Mandel raconte l’histoire d’une troupe de théâtre ambulant circulant sur les routes américaines après une apocalypse et qui joue Shakespeare devant les survivants. « Survivre ne suffit pas », telle est leur devise.

On ne comprend pas pourquoi Jan Jambon s’en prend soudain aux immigrés, lui qui avait, dès sa prise de fonction, déclaré que « Les gens qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons. » Une telle compréhension pour ceux qui avaient flirté avec les envahisseurs aurait dû rassurer tous ceux qui aujourd’hui accueillent des étrangers.

Mais, faisant preuve d’une irrationalité dont on accuse généralement les artistes, lui qui se montrait si humain avec les Allemands perd toute bienveillance lorsque nos visiteurs débarquent d’un autre coin de la planète.

Quelle mouche l’a piqué ? A-t-il agi sur conseil de son collègue Francken, qui a toujours raison depuis qu’il caracole dans les sondages ? Qu’il se rappelle de cette réplique de Molière : « Hélas, qu’avec facilité, on se laisse persuader par les personnes que l’on aime ! »

Charles Michel devrait en prendre de la graine la prochaine fois qu’il sortira de son silence embarrassé pour venir au secours des deux poids lourds de son gouvernement.

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