LE CORNET S’EFFRITE

La dernière cabine téléphonique du pays a été évacuée de Wilrijk par le camion-balai de Proximus avec la même indifférence que la police de Bruxelles évacue les SDF molestés par d’aimables jeunes gens dans les rues de la capitale.

Si je l’avais su, je me serais précipité à Anvers, dans le district natal de Moussa Dembélé, pour passer un dernier coup de fil, je ne sais à qui mais je l’aurais fait. Evidemment, une fois dans la cabine, le combiné à la main, je me serais rendu compte que mon voyage était sérieusement compromis : faute de carte, utiliser un téléphone public était devenu aussi difficile que faire appel aux services publics. Acheter une carte de téléphone ? L’objet était devenu aussi introuvable qu’un bureau de poste, une loi sur le tax shift, une communication compréhensible sur la circulation dans le nouveau centre piétonnier de Bruxelles ou un dirigeant honnête dans les instances internationales du football.

Si notre opérateur téléphonique avait un peu de poésie ou d’imagination, il aurait laissé une cabine en fonctionnement, une seule, devant laquelle je parie que les gens se seraient pressés comme Tintin, attendant avec impatience que la grosse dame avec chien-chien qui occupe la belle cabine bordeaux des P.T.T. la libère en murmurant « Nous pouvons sortir, Mirza : il ne pleut plus » (Le Secret de la Licorne).

La cabine était un lieu intime, notre dernier refuge secret. Le seul appareil qui n’était pas sous le contrôle de la NSA, des services chinois, russes, allemands, brésiliens ou même belges (pour autant que nos « services » écoutent eux qui n’entendent guère).

On se glissait dans une cabine pour échapper aux parents, donner un rendez-vous galant, organiser une fête discrète, et surtout se raconter des histoires ultra-confidentielles mêlées à des rumeurs terribles à ne pas glisser entre toutes les oreilles. Le temps de la conversation, la cabine formait un univers clos et rassurant, un doux cocon, un retour dans le ventre maternel, la cellule fermée où le moine réussit à se mettre directement en contact avec son Dieu (sans carte prépayée ni opératrice intervenant soudain pour faire ajouter de la monnaie), le domaine où l’on était roi, où l’on avait le droit de tout dire, crier, pleurer ou se chuchoter les choses les plus inavouables, selon son bon plaisir et en toute impunité.

C’était le lieu de l’urgence, où l’on se précipitait parce qu’on ne pouvait pas attendre de parler à son correspondant, à la femme qu’on aime ou celle avec laquelle on vient de rompre et qu’on veut à tout prix rattraper. A la différence du GSM, une île à l’abri du regard, du mouvement, des autres. Le dernier bastion de la solitude a disparu…

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MAÎTRES DU MONDE

 

Pendant un bref instant, on aura l’impression d’être le maître du jeu. Ce dimanche matin, dans la file devant le bureau de vote, nous allons redessiner le monde d’un simple clic. Un bulletin dans l’urne et, hop ! tout va basculer. Le droit à la pension dès l’âge de trente-cinq ans ; Maggie De Block condamnée à examiner tous les pensionnaires des centres fermés, un à un, avec interdiction de toute expulsion tant qu’elle n’aura pas terminé l’ensemble de ses visites ; seuls les martiens pourront désormais être nommés ministres à condition de n’être nés ni wallons ni flamands mais obligatoirement petit homme vert ; la Belgique changera de nom pour s’appeler Eden (jugé touristiquement plus porteur) avec un drapeau en forme de serpent (la pomme, c’est déjà pris par plus puissant que nous); le terre sera plate; école le matin et cinéma tous les après-midis, sauf le mardi où il y a piscine; les fritkots seront obligatoires sur toutes les places du royaume avec sauce andalouse sous peine d’amende ; un jour par an, chacun à son tour, nous aurons droit d’être le roi, à condition de ne pas en profiter pour revendre les bijoux de famille; Bart De Wever sera nommé bourgmestre de Mons pour organiser les festivités kosmopolites (ça le changera) de la capitale kulturelle de l’Europe 2015 tandis que Melchior Wathelet jr deviendra maïeur d’Anvers afin d’empêcher les bateaux de survoler la ville; Alost sera capitale du pays avec carnaval tous les jours ; Bruges, rattachée à Bruxelles en échange de Koekelberg, qui ira prendre l’air à la mer ; Seraing, rendue immortelle par les frères dardenne, vendue aux Américains pour être reconstruite pierre par pierre à Hollywood ainsi que son bourgmestre (attention de numéroter ses abatis pour ne pas le remonter de travers comme une bête commode Ikea!) sauf le stade de Sclessin qui sera rebâti sur le Mont Olympe, sa véritable place. Avec l’argent de la vente, on construira une maison du peuple qui, pour une fois, sera une maison du peuple; la N.S.A. s’installera à Oreye avec pour mission de rechercher l’OTAN perdue ; la sixième réforme de l’état sera inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco et ses auteurs recherchés pour crime contre l’humanité.

Dès lundi, au travail, les élus ! Et, pas question d’attendre à nouveau cinq ans pour vérifier que toutes ces belles promesses électorales ont été tenues. Avec internet, gare à vous, chaque mois, les citoyens auront le droit d’effacer, grâce à un vote électronique, les politiciens qui ont manqué à leur parole ou qui ont mangé leur chapeau. A la trappe, paresseux et menteurs !

Pardon ? C’est à moi de voter ? Excusez-moi, j’étais distrait. Un beau rêve…

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LE MANITOBA NE REPOND PLUS

  C’était il y a un peu plus de soixante ans. Parti de New York en direction de Liverpool, le SS Manitoba traversait paisiblement l’Atlantique quand soudain, tout signal est rompu avec le bateau. Radio, radar, le navire reste muet, introuvable. Le monde entier apprend avec stupeur que « Le Manitoba ne répond plus ».

C’est Jo, Zette et leur singe Jocko qui vont réussir à démasquer la bande de pirates qui a paralysé le navire. Leur chef est un savant fou, une espèce de docteur Frankenstein, qui a construit un robot auquel il espère donner la vie en lui transmutant le cerveau de Jo.

Qui a dit que les aventures imaginées par Hergé sont démodées dans notre monde contemporain ? Que l’aventure, le rêve et le mystère ont été remplacés par les mille yeux de Google, d’Internet et de Facebook ?

Depuis des mois, on dénonce la pieuvre NSA qui écoute toutes les conversations téléphoniques (« Allo ? La boucherie Sanzot ? Allo ? »), y compris celle de la chancelière allemande (« Nous afons les moyens de fous vaire parler ! ») Les redoutables espions US lisent nos mails, même en flamand de Termonde, observe ce que chacun fait à chaque instant. Il paraît –ou plutôt il semblait- que des satellites en orbite pouvaient observer sur la terre des pièces de la dimension d’un moteur d’avion.

La disparition du Boeing de la Malaysia Airlines MH 370, suivi en permanence par les contrôleurs aériens (et les services des puissances militaires du coin) et l’évaporation de ses 239 passagers indiqueraient-elles que nous ne sommes pas encore entrés dans l’ère de « 1984 », tel que le pressentait avec effroi George Orwell ?

Ainsi, tout ce qu’on nous racontait était du vent ? On ne serait pas pisté en permanence, écouté, observé, analysé par les milliers de machines qui ronronnent au fond des caves de la CIA et autres KGB et fils? Ne me dites pas qu’on serait… libre ? Pas libre, tout de même ?

Libres de disparaître aussi facilement que les passagers du vol MH 370 ou du « SS Manitoba » ? Aussi mystérieusement que Saint Exupéry et Amelia Earhart ? On aurait le droit de s’éloigner avec autant de grâce que les personnages à la fin d’un roman ? Que Charlot à la dernière image des « Temps modernes » ? De plonger dans l’oubli, morts ou vivants, à l’insu de tous, tel Arthur Gordon Pym dans le malstrom où l’entraîne Edgar Allan Poe ? Libre comme Tintin depuis la mort d’Hergé ?

A moins que tout ça ne soit une invention du savant fou, Vladimir Poutine ? Lui, qui aurait fait disparaître le vol MH 370 comme il a fait disparaître en quelques jours la Crimée – demain l’Ukraine, puis les pays baltes ? Vite ! Qu’on lui offre un cerveau humain pour remplacer les circuits électroniques qui le font avancer droit dans le mur…

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