PRENDS L’OSEILLE ET TIRE-TOI !

Temps difficiles pour la culture et les créateurs. Les libraires tombent comme des mouches, les éditeurs belges se réduisent comme peau de chagrin et les innombrables ministres de la culture de notre petit royaume sabrent dans les budgets pour se débarrasser des théâtres ou des musées qui les encombrent. Ils n’ont pas encore compris que ce sont les créateurs qui tissent le lien social et tiennent le fritkot debout et pas leur service de communication. Qu’est-ce qui rend Bruxelles si magnifique, si émouvant, si désirable ? Le « Tout Nouveau Testament » de Jaco Van Dormael ou un discours à la nation bruxelloise de Rudi Vervoort ?

La situation des créateurs était aussi déprimante en France jusqu’à ce qu’un duo de journalistes donne un coup de pied dans cette fourmilière désespérée. Qu’ils en soient loués, comme disait Dieu ! Même si leur initiative les a fait valser en taule. C’est bon signe : beaucoup de grands artistes sont passés par la case prison avant de passer à la postérité. Cervantès, Casanova, Howard Fast, Dostoïevski ou Soljenitsyne. Eric Laurent et Catherine Graciet, retenez ces noms, sont les nouveaux géants de la culture new wave.

Ils ont compris que le livre, c’est fini : plus de lecteurs (les gens préfèrent lire les conneries de leurs copains sur leur Smartphone), plus de subventions (les politiciens ont transféré le pognon destiné à produire des livres ou des spectacles vers les agences chargées d’assurer leur image), le livre n’est même plus cet emblème chic de l’homme classieux. Leur idée de génie : pour que le livre reste une bombe, il faut qu’il ne soit pas lu, qu’il ne paraisse pas, que les auteurs empêchent eux-mêmes l’édition de leur texte. Au lieu d’encaisser des droits d’auteur, il suffit de monnayer cette autocensure. Ce coûte moins cher et ça rapporte beaucoup plus.

Laurent et Graciet ont donc griffonné un vague manuscrit bourré d’horreurs sur le roi du Maroc qu’ils ont essayé de vendre au Commandeur des croyants pour trois millions d’euros. Même Hollywood n’aurait pas payé autant pour l’adaptation -le roi du Maroc non plus. Mais peut-être Spielberg serait-il prêt maintenant à acheter très cher l’histoire de ce coup fumant, plus fort encore que celui raconté dans « Catch me if you can » ?

Ce concept révolutionnaire devrait inspirer d’autres auteurs. Combien donnerait Bart De Wever pour faire oublier les déclarations de Théo Francken sur l’accueil nécessaire aux réfugiés ? Et Joëlle Milquet pour que les humoristes arrêtent d’exploiter toutes ses bonnes idées ? Et Charles Michel pour qu’on efface toutes ses déclarations durant la campagne électorale où il s’engageait à ne jamais (jamais, lisez sur mes lèvres) s’allier à la N-VA ?

Et surtout, combien Dieu serait-il prêt à payer à Jaco pour qu’il taise ses secrets ?

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D’ACCORD?

« Accord », quel beau mot, qui évoque la musique (censée adoucir les mœurs), le cinéma de Woody Allen (« Accords et désaccords », un de ses plus beaux films). En droit, l’arrangement entre des personnes en conflit, la paix. L’accord, c’est l’une des pièces maîtresses de la civilisation, de la vie en société, le rempart contre la barbarie.

Mais tout évolue, décidément. Même le sens du mot « accord ».

Maintenant, « accord » signifie : c’est comme ça et pas autrement. Et surtout on ne discute pas. Quand le père dit à son gosse : « Tu fermes la télé et tu fais tes devoirs, d’accord ? », cela n’est pas : devoirs ou télé, discutons-en. Mais : tu l’éteins cette fichue télé ou tu préfères une torgnole ?

En politique, les choses se passent un peu comme en famille.

« Tu la votes cette foutue loi, d’accord ? » dit le président de parti à un de ses parlementaires réticents. Cela signifie : c’est mon opinion et tu la partages, d’accord ?

Dès son entrée en fonction, le gouvernement Michel-De Wever applique cette nouvelle acception du mot « accord », pour prouver sans doute son extrême modernité – et faireb oublier la nostalgie vintage de deux de ses membres.

Ainsi des institutions culturelles et scientifiques fédérales.

D’un coup de plume, quelque part au milieu d’une nuit de négociations, l’un des Suédois a dû glisser : Ma femme me traîne toujours à l’opéra, moi qui déteste ça. D’abord, à l’entracte, il y a tant de monde qu’il n’y a jamais moyen d’atteindre le bar ! Et on leur donne du pognon ? a demandé un autre. Quelqu’un est intervenu. Attendez, c’est l’un des opéras les plus prestigieux du monde. On va pas discuter de la Castafiore jusqu’au petit matin, a conclu le chef négociateur. Plus de money pour la Monnaie, d’accord ?

C’est comme le Musée d’histoire naturelle, a enchaîné une Suédoise. Quelle galère ! Mes enfants m’ont cassé les pieds. Ils voulaient voir les dinosaures. Aucun intérêt, il n’y a rien que des os. Est-ce que c’est vraiment un spectacle pour les enfants ? Supprimons les doubles emplois ! Tout de même, est intervenu un type au bout de la table. Nos chercheurs sont parmi les plus… On supprime ce bête musée, d’accord ? a coupé le chef négociateur.

Et la Bibliothèque royale ? A quoi bon entasser tant de papiers à l’heure d’internet ? Quand Google aura numérisé tous les livres, son fonds ne vaudra plus un clou. Autant s’en débarrasser avant. C’est notre mémoire ! s’est écrié un vieux birbe. On a drôlement avancé cette nuit, a conclu le chef négo. On a supprimé la culture et la science. Avec ménagement, a murmuré son conseiller. Ces artistes ont des copains journalistes. Bon. 30 % de moins sur leur budget, d’accord ? Et les Suédois sont passés au point suivant.

Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver, d’accord ?

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CECI N’EST PAS UN MUSEE MAIS DEUX

Dans quelques jours vont être inaugurés le Musée Magritte et le musée Hergé. Sacrée coïncidence que cet hommage rendu à deux créateurs géniaux qui travaillaient le même art, vivaient à la même époque et dans la même ville mais qui ne se sont pas rencontrés. Aujourd’hui, le rapprochement entre les deux œuvres paraît évident. Trop évident ? Trop séduisant ? Trop facile ?
Tout sépare en fait les deux artistes. Magritte est un bouffeur de curés, aux idées révolutionnaires qui a flirté un moment avec le parti communiste, comme la plupart des autres membres du groupe surréaliste. Alors qu’Hergé était plongé dans un milieu catholique conservateur, et même réactionnaire. Sous la silhouette apparente de petit bourgeois bruxellois qu’ils affichaient tous les deux, se cachaient des hommes et des univers bien différents. La coexistence à quelques rues de distance d’artistes si différents (et qui s’ignorent !) est peut-être un des secrets de la magie belge.
Pourtant, on ne peut nier des points communs entre Magritte et Hergé. Le sens de la dérision, du pied-de-nez, de l’impertinence. Il n’y a qu’un pas entre la rue où jouent Quick et Flupke et celle de Golconde sur laquelle tombent des centaines de bonhommes en chapeau boule (encore un accessoire commun). Cette façon de ne pas se prendre au sérieux, typiquement de chez nous, explique sans doute le temps qu’il a fallu à l’un et à l’autre pour être reconnu hors de nos frontières.
L’importance du monde du rêve est évidente dès qu’on regarde un tableau de Magritte. Mais, en grattant un peu, on découvre qu’il en est de même pour Hergé. Les hallucinations du capitaine Haddock, prêt à enfoncer son ouvre-bouteille dans la tête de Tintin ou le passage des Dupondt devant une plaque de rayons X, qui les transforme en demi-squelettes, paraissent étrangement familiers aux amateurs de Magritte. Comme leur goût partagé pour le roman populaire, le « roman de gare ». Les titres des toiles de Magritte évoquent ceux des romans d’aventures et de mystère, autant que ceux d’Hergé : Le Château des Pyrénées, le Monde perdu, le Gouffre argenté ou encore l’Ile au Trésor et Le Drapeau noir font écho à l’Ile noire, à l’Oreille cassée et à l’Etoile mystérieuse.
Tous deux aussi ne cachent pas leur amour du cinéma burlesque. Magritte collectionnait les films de Buster Keaton, de Charlot et de Laurel et Hardy, dont Hergé n’a jamais caché l’influence qu’ils ont eue sur son sens du gag, élément essentiel de son œuvre.
A une époque où il est de bon ton de se « racrapoter » dans sa communauté, la culture belge revient en tornade, mille sabords ! Et c’est une sacrée gifle dans la figure de ceux qui pensent que la Belgique n’existe pas.

Alain Berenboom
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