LES ENFANTS MAUDITS DE NAPOLEON

  Il y a un mystère Napoléon. Pourquoi Hitler, Staline, Gengis Khan sont-ils définitivement considérés comme des monstres sanguinaires mais pas Napoléon ?

  Un peu partout dans le monde, des clubs, des écrivains, des collectionneurs continuent d’alimenter le culte du vaincu de Waterloo. Je suis certain que Napoléon a plus de fans qu’Einstein, Martin Luther King et Louis Pasteur réunis. 

  Cette semaine encore, un admirateur russe de l’empereur, historien honorable, a manifesté son enthousiasme pour le grand homme en découpant en morceaux sa compagne – elle-même groupie de Napoléon- en autant de morceaux que l’avait fait leur héros avec l’Europe il y a deux siècles. 

  Ce qui montre les dégâts que peut engendrer une dictature pourtant battue et éliminée de la carte politique longtemps après sa disparition. Il n’y a pas qu’à Saint-Pétersbourg que la folie des tyrans de la belle époque continue de contaminer nos contemporains, un peu comme la maladie qui a frappé les archéologues découvrant le tombeau de Toutânkhamon avant de tomber comme des mouches. 

 On voit ces temps-ci l’effloraison des graines semées par les régimes les plus odieux de l’histoire.

Qui aurait pu penser que le premier parti d’Italie clamerait son admiration pour Mussolini alors que ses électeurs ont été bercés par des cinéastes, des écrivains, qui ont démonté l’horreur de ce régime et les dégâts qu’il a causés pas seulement sur les âmes, mais même sur l’économie du pays ? Bassani, Silone, Ginzburg, Primo Levi, Carlo Levi, Monicelli, de Sica, les Taviani, réveillez-vous, ils sont devenus fous !  

Et voyez les dernières élections en Allemagne, en Espagne.  

 Ainsi que chez nous, en Flandre, où a vu débarquer au parlement une tripotée de jeunes néo-fascistes, la bouche en coeur. Pour les combattre, le nouveau ministre-président (qui s’est approprié le portefeuille de la culture) n’a rien trouvé de mieux que d’étouffer financièrement artistes et créateurs. Ces artistes qui ont fait briller la Flandre dans toute l’Europe. Le « canon » flamand brandi il y a quelques semaines est déjà dans les patates ! Seul espoir, que ses collègues ne se laissent pas enfumer par le Jambon ! 

    Avec l’accélération de l’amnésie politique, on n’ose pas imaginer à quoi ressemblera le deuxième mandat du président Trump ! Pour autant que la littérature serve encore à réveiller les lecteurs, on conseillera de lire cette joyeuse et terrifiante uchronie de Philip Roth « Le Complot contre l’Amérique ». 

On en profitera pour vous faire acheter aussi le plus beau roman italien de cette année, « Tous, sauf moi » de Francesca Melandri, superbe plongée dans le Rome actuel (confrontée à l’immigration) avec en parallèle le souvenir de la conquête barbare de l’Ethiopie par les troupes du Duce. Le tout à glisser sous le sapin !  

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DOLCE VITA

  Avec un à-propos qui mérite d’être salué, les dirigeants militaires du Soudan ont célébré trente ans après jour pour jour l’anniversaire de la remise en ordre de la place Tian’Anmen. En massacrant des dizaines de civils sans armes, qui tels de candides Chinois, attendaient sur une place de Khartoum le retour de la démocratie. 

  Notre ancien secrétaire d’état Théo Francken a dû être rassuré. Il avait choisi les bons interlocuteurs pour négocier le renvoi dans leur pays de réfugiés soudanais qui fuyaient la répression du régime et avaient eu la bête idée de se nicher en Belgique. 

  Les Algériens feraient bien de prendre garde à ce qui vient de se passer au Soudan. Les militaires, surtout dans les pays où ils ont pris le contrôle de la vie politique et économique, n’aiment pas être dérangés pendant leur sieste. 

 Un film et un livre nous rappellent deux autres affrontements de ce genre qui n’ont pas servi de leçon. 

Le film est signé Nanni Moretti. Dans « Santiago, Italia », il plonge sa caméra dans les événements du 11 septembre 1973, lorsque l’armée chilienne, sous la direction du général Pinochet, a effacé dans le sang les institutions démocratiques et « suicidé » le président Allende. Moretti s’attarde particulièrement sur tous ces survivants que les Italiens ont fait échapper à la mort. On apprend ainsi que l’ambassade d’Italie à Santiago a accueilli des centaines de réfugiés, que les autorités italiennes (tous partis confondus) se sont battues pour exfiltrer de la capitale chilienne, les faisant échapper à la violence de l’ordre nouveau, pour les faire venir dans la péninsule. 

Tous partis confondus. Vous entendez ça, messieurs Francken et Van Grieken ? Vous vous en souvenez, M. Salvini ? 

La compassion, la solidarité, voilà ce qui fait la différence entre l’Italie d’alors et celle d’aujourd’hui, explique Nanni Moretti. Et l’horreur des réseaux sociaux ajoute-t-il (dans une interview à l’Express). 

 Le livre qui évoque un autre moment de la furie militaire contre des civils impuissants nous vient aussi d’Italie. « Tous, sauf moi » de Francesca Melandri (Gallimard). 

Dans ce roman foisonnant et passionnant, F. Melandri évoque non seulement la violence terrifiante que l’armée italienne fasciste a fait régner sur l’Ethiopie lorsqu’elle l’a envahie en 1937, mais aussi la « terreur rouge » du régime mis en place par le dictateur Mengistu avec l’aide de l’armée après l’éviction et l’assassinat du vieil empereur Hailé Sélassié en 1974. Une terreur qui n’a rien à envier à celle des Khmers rouges au Cambodge exactement à la même époque.  

  Un cinéaste, une écrivain s’effacent devant l’Histoire pour que l’Histoire ne s’efface pas. 

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