PARIS EST UNE FÊTE

    En voyant tous les jours les images de Paris ravagée par les grèves à répétition, noyée sous l’amoncèlement des ordures, en contemplant les vagues de manifs dans les rues, la violence des voyous qui se sont glissés dans les cortèges et celle aussi choquante des policiers, on hésite à mettre les pieds en France. On se dit que s’il faut vraiment y aller, qu’on a un rendez-vous obligé dans la Ville-Lumière, mieux vaut descendre en voiture, la laisser dans un parking protégé, se munir de solides chaussures de marche, d’un masque à oxygène et d’un gilet pare-balles.

Or, en débarquant dans la capitale française il y a quelques jours d’un train parfaitement à l’heure, je n’ai pas vu d’autres ruines que Notre-Dame. 

Celles de la politique d’Emmanuel Macron étaient parfaitement invisibles. Même les auteurs de tags ignoraient la « colère du peuple » dont se gargarisent les Mélenchonistes. J’ai eu beau chercher. Personne n’a songé à rebaptiser une station de métro 49.3. 

Aux abords du Jardin du Luxembourg, entre Sorbonne et Panthéon-Assas, pas le moindre coup de gueule. Des groupes d’étudiants se promenaient joyeusement, aussi insouciants que les personnages d’un film de René Clair.  

Peut-on imaginer que les révolutionnaires de 1789 aient fait la pause pendant les fêtes de Pâques ? Gardez la Bastille au chaud, on va continuer à la démolir dès que nous rentrerons de vacances !

Tout a été soigneusement balayé, ordures, banderoles, pétards, grenades lacrymo. Les oiseaux en pagaille fêtaient l’arrivée du printemps en saluant les touristes qui seuls se pressaient sur les boulevards. Ils ne protestaient que contre la longueur des files devant les expos et les restaus. Charles III peut débarquer sans crainte avec madame en chapeau et Xi Jinping, le nouvel ami du président français, s’offrir une première visite surprise en Europe. 

Il est vrai que le président Macron, après avoir fait passer sa réforme des retraites à la hache, a choisi un nouveau terrain pour se faire les muscles, la scène mondiale. Profitant de son voyage à Pékin, il a proclamé « l’autonomie stratégique » de l’Europe. Tente-t-il de se glisser dans le costume du général de Gaulle ? Ira-t-il jusqu’à quitter l’organisation militaire intégrée de l’Alliance atlantique ? En pleine guerre d’Ukraine ? Et à fermer les yeux sur les menaces contre Taiwan ? En tout cas, Macron a une nouvelle fois réussi à se mettre tout le monde à dos, Américains et la plupart des Européens. Au nom desquels il prétendait, sans mandat, parler au président chinois tandis que la pauvre présidente de la commission européenne était une nouvelle fois reléguée au rôle de potiche.  

 Xi sourit, impassible. Ecouter Macron, comme avant lui les chefs de gouvernement espagnol et allemand, lui semble aussi paisible et amusant que regarder « Entr’acte », le chef d’œuvre muet de René Clair.   

www.berenboom.com

BETWEEN YESTERDAY AND TOMORROW

Les entreprises wallonnes et leur ministre-président sont très fâchés sur la ministre de l’éducation : si tous les élèves du lycée et du collège dévorent désormais les mêmes matières pendant leurs trois premières années, on va retarder leur entrée dans la vie professionnelle. S’ils n’en sont pas encore à regretter l’interdiction du travail des enfants, ils estiment que les gosses, pourquoi pas les bébés, devraient se préparer le plus vite possible au métier de leur rêve, ouvrier agricole ou patron de PME wallonne, garçon de café, fonctionnaire de l’Office des étrangers ou ingénieur atomique.

A dix-huit ans, moi j’ignorais ce que j’allais faire de ma vie – je ne suis pas certain de le savoir aujourd’hui. Mais, à douze ans, c’est vrai, j’avais moins de doutes. Je voulais être receveur de tram parce qu’il travaillait assis (sauf quand des petits crapuleux décrochaient la flèche) ou aiguiseur de couteaux qui parcourait les rues en poussant sa petite carriole et faisait tous les jours la connaissance d’autres dames (à l’époque, seules les femmes jouaient du couteau dans la cuisine).

Moi, j’applaudis au projet d’une culture générale commune. C’est à ça que sert l’enseignement secondaire. En primaire, on apprend à lire. Au collège et au lycée, à aimer les livres.

Mais alors pourquoi cette idée folle de mélanger en un seul cours histoire, géo et économie ?

Faudra-t-il enseigner l’histoire et la géo en fonction des futurs jobs des étudiants ? On apprendrait l’histoire et la géographie des pays de la route de la soie parce qu’il y a des places à prendre dans le grand projet du président chinois Xi Jinping ?

En revanche, on effacerait des cours d’histoire tout ce qui ne sert plus à rien ? L’homme de Neandertal, la bataille des éperons d’or, le massacre de Nankin, les camps de concentration, Hitler, le fascisme, l’histoire industrielle wallonne, la Muette de Portici, la destruction des Indiens d’Amérique. Ceux des Arméniens, des Cambodgiens, et tous les autres génocides puisqu’il n’en reste que des cicatrices. Remarquez, cela aurait un avantage : l’Histoire sans histoires serait tellement plus politiquement correcte. Inutile d’encombrer les cerveaux fragiles de nos bambins des traces sanglantes laissées par l’homme civilisé depuis qu’il est entré dans l’Histoire.

Mieux vaut aussi éliminer tout ce qui dérange dans la géographie, les frontières floues ou à géométrie variable et le décodage des changements climatiques.

Si l’on comprend bien, la ministre préfère effacer les cours qui forment les citoyens à la démocratie mais nécessitent l’appel à une cellule d’aide psychologique.

www.berenboom.com

PS : le titre de cette chronique est emprunté au CD de Natalie Dessay, qui vient de rhabiller de neuf quelques-unes des plus belles musiques de Michel Legrand (Chez Sony).