PESTE SOIT DE L’OPINION PUBLIQUE !

Je me demande souvent, moi qui n’ai jamais été sondé, quelle est la véritable intention de ceux qui prennent le temps de répondre aux instituts d’opinion : avouent-ils franchement leurs intentions de vote ou s’amusent-ils à agiter un tissu rouge sous le nez des partis traditionnels ? Juste pour le plaisir de contempler le désordre et l’affolement qu’ils ont provoqués.
Que les Belges déclarent leur attachement aux voitures de société, aux vacances lointaines, via l’avion, et aux fermettes dans le Brabant wallon ou flamand, là où n’existent ni bus ni train, et qu’ils annoncent en même temps vouloir porter Ecolo ou le PTB à la tête du pays, voilà qui étonnera seulement ceux qui ne comprennent rien aux Belges, à leur amour pour la poésie, de préférence absurde, leur goût de la contradiction et leur amour de la dérision.
Pourtant, certains hommes et femmes politiques s’y laissent prendre. Ils pensent vraiment que les électeurs sont prêts à signer un programme qui bouleversera leur vie. Et de surenchérir dans la dernière ligne droite en accumulant des promesses vertes-vertes ou rouges-rouges, selon le quartier.
Remarquez, ils ont partout le même réflexe. Comme l’a dit un syndicaliste français ébahi et dégoûté, le gouvernement Macron a accordé en quelques semaines plus de cadeaux aux Français que ce que les syndicats réclament vainement depuis trente ans. Juste pour apaiser le soulèvement très médiatique d’une poignée d’excités venus du fond des provinces oubliées.
Le brusque sursaut écologique de la plupart des partis traditionnels vient aussi de leur surprise devant la détermination de ces milliers de jeunes qui ont défilé dans les rues.
C’est peut-être cela qui est nouveau : manifester sert soudain à quelque chose.
Pendant des dizaines d’années, des milliers de gens ont battu le pavé, sous la pluie, contre la politique d’immigration – ou les immigrés-, l’installation d’armes nucléaires à Kleine Brogel, pour sauver la justice, contre l’austérité, pour les pensions, etc. Sans émouvoir nos représentants. Mais, depuis quelques mois, les choses bougent. Ils ont l’air d’entendre quand on gueule sur la voie publique. En tout cas lorsque les sondages font trembler leurs sièges et que les élections sont proches.
Car voilà la date limite du jeu : le 26 mai. Après, c’est tranquillos pour cinq ans.
Depuis que toutes les élections ont été groupées (sauf les communales), une fois le dimanche maudit passé, les élus peuvent recommencer à faire la nique à ceux qui s’agitent sous leurs fenêtres.
Ce qui devrait encourager ceux qui réclament le droit pour les citoyens de taper sur les doigts des élus entre deux élections. Gardons cependant à l’esprit ce que dit Shakespeare : « Peste soit de l’opinion publique ! Un homme vous l’endosse à l’endroit aussi bien qu’à l’envers ! »

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TILT !

   On n’est jamais déçu par la publication de notre feuilleton mensuel favori, le sondage des intentions de vote. Dans la nouvelle saison, on découvre que ceux dont le score avait grimpé lors de l’épisode précédent ont mystérieusement descendu ce mois-ci. Alors que ceux qui avaient perdu des plumes au début du printemps remontent à l’approche de l’été. Surprise ? Non, ce genre de passe-passe est le truc habituel des scénaristes en panne d’imagination.

En attendant la grrrrande finale, l’an prochain, où il faudra trouver un dénouement explosif pour ne pas décevoir les spectateurs.

Le succès de la série « Sondages » s’explique facilement. Pour le journal, c’est l’assurance de remplir trois pages de camemberts et de tableaux colorés. Et pour les journalistes de décortiquer la voix du peuple sans crainte de se tromper. Au fil des épisodes, les media peuvent s’amuser à défaire et refaire sans cesse l’intrigue en reconstituant la Chambre selon les majorités sans cesse changeantes, à fabriquer tous les mois un nouveau gouvernement et à orienter son programme et ses décisions comme dans un jeu video.

En Italie, Beppe Grillo et son mouvement des 5 Stelle ont poussé cette idée encore plus loin en faisant semblant de transformer la communication interactive sur Internet en un contrôle permanent du travail législatif avec la promesse que les citoyens décideront un jour heure par heure du sort du pays. Bientôt, on installera un écran géant dans les assemblées parlementaires sur lesquelles les internautes interviendront en direct avant de voter à la place des élus. Les bannières publicitaires assureront le financement de l’opération et peut-être le payement des députés.

Cette parodie de démocratie directe ressemble de plus en plus aux jeux du cirque qu’aimaient tant les ancêtres romains de Grillo, lorsque le sort des esclaves dans l’arène dépendait des spectateurs, selon qu’ils levaient ou abaissaient le pouce à l’issue de la bagarre contre les lions.

Aujourd’hui, à qui donne-t-on le droit de vie et de mort pour faire tourner les jeux de la démocratie ?

Moi, je n’ai jamais été sondé, ni mes voisins, ni mes amis. S’il faut un téléphone fixe, cela réduit singulièrement l’échantillon et l’âge des participants. Si l’on n’appelle que les mobiles, où trouver les numéros ? Mais peut-être n’appelle-t-on plus personne ? Et laisse-t-on les joueurs annoncer eux-mêmes leur participation ? En envoyant un SMS, au tarif surtaxé ?

Pourquoi ne pas en revenir alors au vote censitaire ? Quinze SMS facturés valent quinze voix pour votre parti ou votre politicien favori.

D’ailleurs, à quoi bon demander encore l’avis des citoyens ? L’opinion qu’ils expriment le matin change dès que tombe la nuit. Autant laisser les ordinateurs décider tout seuls du choix des élus. Tilt !

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