UN MOMENT D’EGAREMENT

   On pense à tort que les cours suprêmes (nos cours constitutionnelle et de cassation par exemple) sont des tours d’ivoire occupées par des êtres sans émotion qui ne connaissent du droit que des règles abstraites, des juges distants qui appliquent la loi sans mettre la main dans le cambouis, sans avoir égard aux faits, au contenu des affaires qui leur sont soumises, aux parties en litige. 

 Pourtant, les grands arrêts de la cour suprême des Etats-Unis illustrent depuis longtemps le rôle politique de l’élite des juges. On leur doit la libéralisation de l’avortement ou la lutte contre la ségrégation raciale. Et l’on comprend l’inquiétude de beaucoup d’Américains après les nominations faites par le président Trump qui pourraient entraîner de dramatiques revirements de jurisprudence. 

  Chez nous aussi, sous couvert d’objectivité ou de formalisme, nos cours suprêmes sont intervenues dans des débats qu’on croyait réservés aux tribunaux ordinaires ou aux instances politiques. Rappelons-nous de l’«arrêt spaghetti » rendu par notre cour de cassation (le dessaisissement du juge d’instruction de l’affaire Dutroux). Ainsi que d’arrêts où la cour constitutionnelle a jeté aux orties des lois votées par le parlement sous le prétexte passe-partout qu’elles n’étaient pas en phase avec son interprétation parfois très personnelle de la convention des droits de l’homme. 

La Cour de cassation française vient de démontrer aussi, dans l’affaire Sarah Halimi, que le caractère soi-disant formaliste et abstrait de ses arrêts est un leurre en consacrant l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Madame Halimi. Irresponsable parce qu’il avait consommé du cannabis alors que, dans un arrêt précédent, elle avait affirmé au contraire que la consommation de drogue était une circonstance aggravante du crime et non une cause d’abolition du discernement.  

On voit que les cours suprêmes zigzaguent, se contredisent, selon les affaires qui lui sont soumises. Donnant la fâcheuse impression de jouer à pile ou face selon les parties en cause. Ce qui explique que certains soupçonnent des relents d’antisémitisme des hauts magistrats français dans l’affaire Halimi.

Selon les cas, s’il faut suivre la cour de cassation de France, un moment d’égarement provoquera une tempête ou sera considéré comme un détail sans importance.  

Un tweet raciste ? Une main baladeuse ? Dira-t-on que l’homme avait un instant perdu son discernement ? 

Dans le même ordre d’idées, Charles Michel s’emparant de la seule chaise disponible à côté du grand mufti Erdogan pendant qu’Ursula von der Leyen se débrouillait avec le sofa ? Ce moment d’égarement du président, détail ou scandale ? 

On a le sentiment que ces temps-ci, certaines juridictions ont la tentation de céder elles aussi à des moments d’égarement…

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HEROÏNES DE NOTRE TEMPS

 Allez, les filles, c’est votre fête ! Profitez-en, ça n’arrive qu’une fois par an ! Le reste de l’année, faut ramer pour être une héroïne ! 

D’ailleurs, qu’est-ce qu’une héroïne de notre temps ? Adèle Haenel quittant la cérémonie des Césars en pestant parce que le César de la Réalisation est attribué à Roman Polanski pour « J’accuse » ? (Le cinéaste l’avait déjà emporté quatre fois auparavant sans susciter de vagues). 

Ou plutôt Maggie De Block obligée de gérer la lutte contre l’épidémie (et l’hystérie) du corona-virus avec/contre les ministres de la santé de toutes les entités fédérées, régionales, communautaires, qui veulent tous être sur la photo ? Ou encore Sophie Wilmès qui parvient à piloter un gouvernement hyper-minoritaire sans susciter de polémique ou de blocage de nos institutions ? 

Comment faire avancer la cause des femmes ? En France, dans le sillage de la grande Adèle, certaines affirment que c’est par la violence que « la » cause va progresser. Il est vrai que c’est une tradition chez nos voisins, bercés par les images d’Epinal de la Révolution. On a été jusqu’à prétendre que l’avant-garde du féminisme c’était les tricoteuses qui s’installaient devant la guillotine pendant la Terreur pour voir tomber les têtes avant de tremper leurs mouchoirs dans le sang des suppliciés. 

Faut-il parler aussi de « violence féministe » à propos des Femen ? Ce mouvement (né dans les premières années de l’Ukraine post-soviétique mais imité depuis notamment en France) lance ses militantes sur le pavé en exhibant un message peint sur leur poitrine dénudée. Jouant avec ambigüité de ce mélange de sexe, politique et provocation. 

Poursuivi par le parquet pour « exhibition sexuelle», un groupe de Femen avait été acquitté par la cour d’appel de Paris qui estimait que « la seule exhibition de la poitrine d’une femme » ne constitue pas un délit si « l’intention de l’auteur est dénuée de toute connotation sexuelle ». L’intention politique est évidente. Mais peut-on dire qu’elle est dépourvue de toute provocation sexuelle ? La cour de  cassation de France a essayé de redresser la barre il y a quelques jours. Elle estime qu’une femme qui exhibe sa poitrine commet un délit. Tout en confirmant la relaxe des Femen car les incriminer serait « une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ». Raisonnement bien tortueux d’une justice qui, une fois de plus, ne sait plus comment coller à l’air du temps d’une société en pleine évolution et en pleine contradiction. 

Au même moment, un juge américain a condamné une femme qui peignait une pièce de sa maison, seins nus, devant ses enfants. Mais pas son mari, qui travaillait à ses côtés, lui aussi sans chemise.

« Rien n’est jamais acquis pour une femme, sauf le sarcasme si elle trébuche », écrivait pertinemment Christine Ockrent.   

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