NOIRS ET BLANCS EN COULEUR

Alors que le thermomètre affichait 25° et que les vacances de Pâques pointaient le bout de leur nez bronzé, le bourgmestre de Bredene a eu la bonne idée d’annoncer la réouverture de ses plages pour nudistes. Aussitôt, le thermomètre a plongé de vingt degrés et l’on doit mettre des Moon boots pour s’aventurer sur la digue. Qu’on ne mette pas ça sur le compte du hasard. 

D’autant que la décision du maïeur pose pas mal de questions. Dans le climat actuel qui incite les gens à se grouper selon leurs affinités ou la couleur plus ou moins pigmentée de leur peau, ouvrir la plage aux nudistes sans autre protocole est devenu insuffisant. Ainsi, les nudistes doivent-ils tolérer à côté d’eux des touristes en maillot ? Si c’est le cas, tous les maillots sont-ils les bienvenus ? Le monokini, oui. Mais le burkini ? En d’autres mots, que peut-on cacher pour entrer sur la plage de Bredene ? Et faut-il montrer patte blanche ? 

Justement, ce sujet a été également oublié par le règlement de Bredene, qui se contente d’autoriser les plagistes à se mettre nu. Pas un mot sur la couleur de la peau. Rien même sur la langue, l’orientation politique, religieuse, sexuelle. Tolère-t-on des vacanciers ne parlant pas néerlandais, du moins pas à haute voix ? 

Pareille indifférence n’est plus de mise. Un nudiste ne doit pas supporter toutes les nuances de nudisme. Il peut exiger que son voisin de plage partage ses valeurs, ses opinions, ses orientations. Les autres n’ont qu’à se rhabiller. Universaliste est devenu une injure. Comme jadis cosmopolite.  

Que se passe-t-il si un couple d’homosexuels noirs refuse de supporter la proximité d’une famille « traditionnelle » d’immigrés chinois, composée d’un homme, d’une femme et d’enfants ? Peut-il prétendre les éloigner au motif que le bout de plage est réservé aux nudistes LGBT d’origine africaine s’abritant sous un parasol arc-en-ciel ? 

Déclarer la plage ouverte aux nudistes ne suffit plus si l’on veut être dans l’air du temps. Il faut « raciser » les plages comme les universités, les clubs, les théâtres. Noirs, jaunes, rouges, blancs, flamands, wallons, indigènes, exogènes, homos, hétéros, ouvrier, patron, etc, chacun sa serviette. 

Pour s’assurer qu’un membre d’une autre secte ne mettra pas les pieds sur son territoire, chaque groupe s’isolera dans un château de sable ou derrière de hauts murs. 

Heureusement, la mer du Nord connaît le phénomène des marées. Une fois que la mer descend, il ne restera plus rien des châteaux et des murs. Tout le monde sera à nu…

Ps : le titre de cette chronique est un clin d’œil au joyeux film de Jean-Jacques Annaud qui portait ce titre et qui a aussi été diffusé sous le titre « La victoire en chantant ».  

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LOIN DE LA FOULE DECHAÎNEE

Au fin fond de la Roumanie, à Iaçi, la capitale de la Moldavie roumaine, non loin de la frontière de la république de Moldavie, de quoi parle-t-on ? De Molenbeek. Que tout le monde connaît, même les serveurs dans les restaurants. Trois syllabes que l’on prononce comme Hiroshima ou Nagasaki au lendemain de la bombe.

Pourquoi accueillez-vous tant de musulmans chez vous ? demande un professeur d’université, qui enseigne la sémiologie. Va-t-il disséquer avec ses étudiants les mots Molenbeek et musulmans ?

De la Russie, dont on parlait il y a quelques mois encore d’une voix tremblante, lorsqu’elle avait envahi la Crimée sans coup férir puis mis une autre partie de l’Ukraine à feu et à sang, sans que les Européens ne réagissent autrement que par quelques mesures de blocus économique, on ne parle plus. Poutine continue à faire peur bien sûr et la frontière russe est plus près de Iaçi que le cœur de Molenbeek mais c’est notre pauvre commune bruxelloise qui concentre désormais toutes les angoisses. Il est vrai que si l’on peut comprendre, expliquer pourquoi la Russie s’est jetée à l’assaut de l’Ukraine, qui peut expliquer ou comprendre la folie meurtrière de Bruxelles et auparavant, de Paris, Madrid, Londres ou Tunis ?

De quoi les Belges sont-ils le nom ? semblent se demander les habitants de Iaçi.

Une ville dont la moitié de la population a disparu pendant la guerre, pogroms et épuration ethnique, et qui se refait une beauté monumentale aux marches de l’Europe, dont elle lève bien haut le drapeau. Ici, on croise des intellectuels avides de culture européenne et les dîners se transforment en cafés littéraires de haut niveau.

Dans le magnifique piétonnier, bordé de monastères orthodoxes, des prêtres se promènent en dévorant leurs sandwiches. Les popes croquent leur casse-croûte cru. Des enfants roms vendent à la sauvette des bouquets d’hyacinthes avant de se faire chasser par un commerçant au sang chaud. De vieux trams brinquebalant parcourent les rues en grinçant comme un écho d’une vieille Europe disparue. Est-ce une autre Europe qui va disparaître à son tour après les attentats déments de Bruxelles ?

Bruxelles, un nom qui n’a pas de chance, décidément. On le prononçait jusqu’il y a peu pour dénoncer les institutions européennes, tout ce qui bloque et qui coince dans l’Union. Bruxelles a décidé, Bruxelles a interdit, vitupéraient les hommes politiques qui n’avaient pas le courage d’assumer leurs responsabilités. Et maintenant, il symbolise un lieu de terreur incompréhensible. Nous ne connaîtrons pas le sort de Bruxelles promettent-ils à leurs électeurs.

Du vent tout ça ! Il serait temps que Bruxelles réapparaisse comme elle est vraiment, le doux nom d’une ville cosmopolite, accueillante, cultivée, ouverte.

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THEO RAME MAIS NE SE REND PAS

C’est le milieu de la nuit. Une silhouette furtive se faufile dans les rues silencieuses de Bastogne. Soudain, elle se fige, surprise par la lumière violente d’un bar dont la porte vient de s’ouvrir. Un bref écho de musique. Christine and the Queen. L’homme fait la grimace. The Queen, il n’aime pas. The King non plus. Il regrette les chants patriotiques flamands. On n’en trouve pas en Wallonie ou si difficilement. Avant que la porte ne se referme, on a pu distinguer son visage, blême, les yeux rouges. Un lapin surpris par les phares d’une auto. Son cœur bat la chamade (il déteste ce mot, tellement français, le titre d’un roman de Françoise Sagan que son prof l’a obligé à lire. Il les hait, son prof, cette Sagan, les livres en général et le roi, la reine, la Belgique, trop cosmopolite comme cette musique de pays qui n’apportent aucune plus-value à la Flandre). La porte se referme et il reprend sa route. Il se retrouve devant une petite mare. L’eau est noire comme l’enfer, aussi tentante que les bras de cette jolie Tyrolienne à la culotte de peau dont il admirait la blancheur l’été dernier. La chair blonde, l’eau noire. Il est perturbé. Mais il résiste à son appel. La maison qu’il cherche n’est plus très loin.

Ah ! La voilà ! Il sonne. Une dame enveloppée dans un peignoir, mal réveillée, entrouvre la porte. « C’est pour Benoît » dit-il. Elle le laisse entrer, le conduit dans le salon. Le président des humanistes le rejoint en pyjama.

« Théo ? s’écrie Lutgen. On te croyait en fuite.

  • J’ai entendu ça, ricane Théo Francken. On a même raconté que j’ai filé en Syrie. Moi, chez les Islamistes ?

  • Que fais-tu ici ?

L’ancien secrétaire d’état déchu baisse la tête.

  • J’ai été chassé de mon parti parce que je n’étais pas assez dur avec les migrants et du gouvernement parce que j’étais trop dur… Faut savoir ! …

  • Pas les migrants, les réfugiés, corrige Lutgen.

  • Le réfugié c’est moi ! Bart m’a coupé la tête, Charles Michel a eu ma peau. Et Laurette veut… je ne te dis pas ce qu’elle veut… Le Vlaams Belang m’invective parce ma politique menace la pureté de la race flamande. Moi, qui suis membre de l’Amicale des anciens Kollaborateurs. Après un soupir, il ajoute à mi-voix : eux aussi m’ont exclu. Et Bob Maes m’a renvoyé mon cadeau d’anniversaire. (Il ne peut retenir ses larmes) Ma vie est un chaos. Être obligé de fuir mon vaderland tant aimé. Le monde est devenu fou.

  • Comment as-tu réussi à arriver à Bastogne ?

  • Un passeur m’a fait cracher une fortune pour m’emmener jusqu’en Wallonie et un autre pour me conduire jusqu’à l’entrée de ta ville. Peux-tu peux me loger en attendant ma régularisation ?

  • Logé ? Il faut t’offrir l’hôtel, peut-être ?

  • Non, non. Une petite tente plutôt. Paraît que c’est le comble du confort.

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