CANNES-VAMPIRE

 Au Festival de Cannes, les paillettes étincellent comme si le temps s’était arrêté en 1963. Bardot-Di Caprio sur la même affiche ? Depuis que la sex-idole est devenue la madone des toutous et des fachos, l’industrie du cinéma a été drôlement chamboulée. Qui verra les films célébrés à Cannes ? Sur quel écran ? Et qui les conservera pour les proposer aux amateurs dans cinquante ans ?

Depuis son origine, le cinéma n’a cessé de tuer ses serviteurs. Comme un vampire ne peut s’empêcher de plonger ses canines dans le cou de celles qu’il aime.

Après avoir balayé les forains, le cinéma s’est enfermé dans de grands palais où il s’est transformé en art. Mais ces temples, que l’on avait crus aussi immortels que les musées, ont été découpés en petits appartements, qu’on appelle des complexes – un mot involontairement révélateur. Qui, à leur tour, sont menacés de disparition par l’internet.

Le téléchargement pirate, soi-disant gratuit, a déjà emporté nombre de salles. Beaucoup de nouveaux cinéphiles, indifférents à la piètre qualité de l’image et du son, illustrent la seule règle que j’ai retenue de mon cours d’économie : « le mauvais argent chasse le bon ».

Certes, on n’a jamais eu un tel choix de films. Mais lesquels ? Jusqu’ici, dans chaque pays, des distributeurs locaux achetaient les films en fonction de l’appétit et des particularités culturelles de leurs cinéphiles. Depuis la disparition de la pellicule, les écrans s’illuminent sur un signal envoyé par satellite de Los Angeles.

Fascinante technologie mais redoutable pour la liberté de sélection et la diversité culturelle. Sans parler de la liberté de la concurrence. C’est dans un bureau de Los Angeles qu’un programmateur, qui ignore l’existence de la Belgique, décide des images que l’on va projeter à Arlon ou à Termonde. « Tuesday ? It must be Belgium ! »

Cette nouvelle technologie contient une autre et redoutable bombe à retardement : la disparition de la mémoire du cinéma. Un livre, une peinture, une musique existeront toujours. Mais les films, comment les conserver s’ils n’existent plus que sous forme d’un signal virtuel, dont l’accès est codé par un producteur de l’autre côté de la planète ?

La majorité des films muets ont disparu. Grâce à la création des cinémathèques peu avant la guerre, le cinéma a acquis une mémoire. Les distributeurs, parfois les producteurs, remettaient aux cinémathèques les copies des films, désormais conservés et restaurés aussi pieusement que les livres dans les bibliothèques. Mais, depuis que le cinéma n’est plus qu’un signal codé, cet archivage va s’arrêter. Un outil d’éducation, une façon de regarder le monde, par l’histoire du cinéma, ne risque-t-elle pas de disparaître ? S’il reste un fan de ciné en 2063, comment pourra-t-il survivre s’il ne peut vibrer devant le sourire ravageur de Scarlett Johansson ?

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