LES ROIS FAINEANTS

   L’annonce du déménagement (forcé) du F.N.R.S. à Charleroi est une preuve que l’imagination est toujours au pouvoir en Belgique.

Avec la crise interminable et la croissance qui hoquète, les politiciens donnaient l’impression d’avoir brûlé toutes leurs cartouches. Plus la moindre fusée pour nous éblouir. Comment lancer un projet un peu ambitieux, promettre des lendemains qui chantent si les caisses restant désespérément vides, plus personne ne croit plus aux promesses ?

Avec la redoutable campagne électorale qui se profile, ils cherchaient désespérément un nouveau truc pour nous jeter la poudre aux yeux, en tout cas le temps d’être réélus. Et ils l’ont trouvé !

Une fois de plus, le gouvernement wallon confirme sa réputation de meilleur magicien d’Europe. Réputation acquise grâce à quelques excellentes attractions. Transformer la disparition des usines en un progrès puisqu’elle améliore la qualité de l’air, c’était très fort ! De même, célébrer l’augmentation du chômage comme une grande victoire sociale permettant à nos travailleurs de profiter enfin des loisirs et de la vie de famille, chapeau !

Mais il était devenu difficile de prolonger ce spectacle une année encore car les spectateurs commençaient à deviner l’envers du décor. Et ça, c’est mortel pour un prestidigitateur.

Or, voilà que l’école du cirque de Charleroi vient de mettre au point un numéro inédit et original : la tournée permanente. Pas celle des bistrots, ça c’est une affaire bien connue dans la région. Mais celle des administrations.

S’inspirant de l’histoire des rois fainéants, qui faisaient le tour perpétuel de leur royaume, paisiblement couchés sur leurs litières, entraînant derrière eux leur cour telle la caravane du tour de France, les lumineux édiles carolos ont imaginé de faire circuler les services fédéraux, bêtement immobilisés à Bruxelles. Le F.N.R.S. à Charleroi n’est que le début du spectacle. Il y aura ensuite les Archives du Royaume à Anvers (passionnante source d’études pour les futurs chercheurs de la république indépendante de Flandre), le Ministère des Finances à Arlon, à une encablure de Luxembourg, permettant aux contrôleurs d’aller à pied (encore une économie !) pour débusquer les fraudeurs fiscaux.

Quant au premier ministre, après avoir revendu le 16 rue de la Loi à un groupe immobilier qatari (toujours ce souci d’épargner les contribuables), il installera ses bureaux et présidera les réunions du gouvernement selon l’humeur du moment et l’état de la météo, tantôt dans un château de sable sur la plage de Coxyde, tantôt sur les terrils verdoyants de La Louvière ou encore dans les locaux pas chers de Mittal. Nul doute que ces bouffées d’oxygène profiteront à tous nos concitoyens.

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CHARLEROI, DEUX MINUTES D’ARRÊT

De Charleroi, on croyait tout connaître. De ses dessous. Et de ses pardessus.
On imaginait bêtement que l’argent y coulait à flots, que les caves de ses HLM regorgeaient de vins rares, que son aéroport rutilant avait transformé la ville en Eldorado. Brussels south, tellement plus chic qu’Uccle Calevoet.
Et voilà qu’une juge souffle les paillettes et nous dévoile sans vergogne qu’à Charleroi, mieux vaut être pauvre, socialiste et malade que riche, subsidié et clinquant.
Il n’est « peut-être pas raisonnable d’afficher sa prospérité dans une région économiquement sinistrée » dit-elle pour condamner le propriétaire d’une maison rénovée grâce à des subventions de la région à les rembourser. Le fait que cet homme d’affaires a subi plusieurs car-jackings, cambriolages et agressions à main armée, que sa famille a été menacée, n’est pas un motif justifiant qu’il se soit fait la malle avant la date prévue par la convention de subsidiation.
La juge a raison. L’agresseur, c’est lui. Quelle idée en effet de frimer en Jaguar sur les boulevards dévastés de Charleroi ? Quand on a de la galette, on se paye deux voitures, monsieur, la Jag’ pour les week-ends à Knokke et les déjeuners à Mons. Et une bagnole pourrie, la même que celle du juge, pour faire son shopping au Carrefour du coin avant qu’il ne ferme définitivement ses portes.
Et cette villa de rêve, cet hôtel de maître rénové à coups de millions et de subventions publiques ? Une pure provocation quand on voit l’état de délabrement du palais de Justice de Charleroi, une de ces constructions modèle socialisto-stalinien des années soixante. On s’étonne même que les agresseurs n’aient pas eu la charité de verser une partie de leur butin aux magistrats locaux.
Il y a quelques années, un juge avait acquitté une petite voleuse qui avait piqué dans une grande surface en considérant que l’étalement obscène des biens de consommation ne pouvait qu’inciter au vol.
Nul doute que si les voleurs qui ont failli faire la peau de cet homme d’affaires arrivaient devant le tribunal, ils auraient des chances de recevoir les félicitations du jury. Inutile même de les rechercher. La police a bien d’autres choses à faire à Charleroi.
Peut-être serait-il bon que la présidente de la quatrième chambre revoie le film « La Traversée de Paris » (adapté d’une superbe nouvelle de Marcel Aymé) où Jean Gabin lance : « Salauds de pauvres ! » à une poignée de misérables.
Ou qu’elle aille voir un autre film, justement sur les écrans depuis peu, « Tales from the golden age » de Cristian Mungiu, belle histoire de pauvres, autrement exemplaire, lumineuse et pathétique, pétaradante de joie de vivre.

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