AH ! SI J’AVAIS UN FRANC CINQUANTE …

  Imaginez, cher lecteur, que vous ayez 43 milliards de dollars dans votre petit cochon, un tas de pièces accumulées au fil des ans, dont vous ne savez que faire. Le cochon déborde. Or, vos revenus et votre patrimoine vous assurent la satisfaction de tous vos besoins, y compris vos caprices et l’ardoise de vos cambuses favorites.

Alors, comment vous débarrasser de tout ce pognon ? Vous pourriez évidemment acheter des tas de billets de loterie. Mais à quoi bon ? Avec votre chance insolente, vous risquez de gagner encore au prochain tirage, ce qui ajoutera à vos soucis. 

Distribuer votre fortune aux pauvres, comme on disait jadis ? Aux associations de sans-abris, aux ONG qui s’occupent des migrants, des affamés ou autres laissés pour compte ? Mais non ! Seul un homme qui n’a jamais eu un sou à dépenser peut imaginer un scénario aussi gnan-gnan. Même Frank Capra, qui ne lésinait pas sur les bons sentiments dégoulinant de l’écran, nous raconte dans « L’extravagant Mr Deeds » que son héros, dès qu’il se met à distribuer l’héritage inattendu qu’il a reçu, est mûr pour se faire enfermer. Quand on a autant de fric que l’Oncle Picsou, qui déborde des armoires et des tiroirs, on ne le distribue pas. D’abord, ça créé un mauvais exemple. Mais surtout ça ne vous rapporte rien à part quelques centaines de lettres de remerciements écrites dans des langues indéchiffrables et dont on ne peut rien faire sinon les fourrer au fond d’un sac jaune (des frais supplémentaires vraiment inutiles).

Elon Musk a trouvé un autre hochet. En échange d’un chèque de 43 milliards, il s’est offert Twitter. L’envie de fournir aux gens un lieu pour s’exprimer, laisser les opinions ou les fantaisies se déployer ? Les messages étant limités à 280 caractères, on ne va pas très loin dans la nuance, la réflexion, le développement de la pensée sur Twitter. C’est trop court, même si on est un écrivain de nouvelles, pour installer une intrigue, camper des personnages. 

S’il voulait devenir éditeur, Musk aurait mieux fait de racheter une vraie maison, Penguin ou HarperCollins, qui peuvent publier des livres de centaines ou même de milliers de pages. Mais le chiffre d’affaires de Penguin, le principal éditeur américain, n’est que de 1,5 milliards de dollars. Beaucoup, beaucoup trop bon marché pour Musk. Ce qui au passage permet d’observer que moins un éditeur limite le nombre de mots de ses auteurs, plus il cartonne.

Evidemment, à la tête de son nouveau joujou, Musk va pouvoir publier des auteurs dont personne d’autre ne veut, Donald Trump, les évangelisto-conspirationnisto-délirants et autres paranos dangereux du monde entier. 

Ce qui au passage donne une idée un peu inquiétante de ce que recherchent aujourd’hui lecteurs et électeurs…  

Ps : pour le titre, merci à Boris Vian !   

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LIQUIDATION AVANT TRANSFORMATION

Ca sent la fin de saison, le rideau qui tombe devant une salle presque vide et la lassitude, la grande lassitude des rêves qui ne se sont pas réalisés.

Alors, pour faire illusion, on rafistole un peu les promesses faites jadis pour rassurer le bon peuple. Dans l’espoir qu’après le long tunnel des vacances, tout sera oublié.

Le feuilleton du Grand Stade du Heysel (qui sera baptisé Eurostadion, du moins si l’euro ne disparaît pas d’ici là), en est un bel exemple. Le gouvernement bruxellois et celui de la Ville ont accumulé au sujet de ce bazar les déclarations les plus saugrenues : annoncé gare de Schaerbeek puis sur le site de l’OTAN (ce qui était assez logique depuis qu’entrer dans un stade ressemble de plus en plus à la visite d’une prison militaire), le temple consacré au Dieu Foot, sera installé sur l’un des parkings du site, du côté de Grimbergen. Une décision prise lors d’un long week-end du gouvernement bruxellois à la côte flamande.

Mais, réjouissez-vous, bon peuple, qui refusez de donner le denier du culte pour la gloire de saint diable rouge, promis, juré, ça ne vous coûtera rien. C’est du moins ce qu’on vous a promis en septembre 2013 quand les autorités communales, régionales et fédérales avaient pris l’engagement, en chœur, que pas un euro d’argent public ne serait dépensé pour la construction. « Read on my lips ! » comme disait le président Bush senior, « pas un euro d’argent public ».

Résultat, au moment de boucler leurs valises, les mêmes excellences reconnaissent que les somptueuses installations seront payées par le contribuable, évidemment. Réfléchissez. Pourquoi des investisseurs privés placeraient-ils de l’argent frais dans du béton qui ne rapporte rien ? Mieux vaut acheter des joueurs toujours plus chers (et qu’on peut revendre avec bénéfice) et des coachs, toujours plus capricieux.

Et pourquoi la ville et la région de Bruxelles investissent en Flandre ? Par solidarité interrégionale.

Côté liquidations, les affaires vont aussi bien train que côté construction. Tout doit partir avant même que les soldes n’aient officiellement démarré. Le Standard et ses joueurs vedettes, liquidés, Delhaize et son lion – devenu il est vrai aussi miteux que celui de feue la MGM- à la casse. A part ma délicieuse pâtissière, ne reste plus guère d’entreprises noir-jaune-rouge. Toutes ont été vendues et beaucoup dépecées sans même les transformations annoncées par les repreneurs.

Ne vous en faites pas, nous console-t-on depuis Pékin. Demain, l’argent chinois, contournant la Grande Muraille, coulera à flots sur notre beau pays, en aussi grand nombre qu’il y a de pierres dans le désert de Gobi. Hélas, dans un désert, le rêve se dit mirage.

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D’ACCORD?

« Accord », quel beau mot, qui évoque la musique (censée adoucir les mœurs), le cinéma de Woody Allen (« Accords et désaccords », un de ses plus beaux films). En droit, l’arrangement entre des personnes en conflit, la paix. L’accord, c’est l’une des pièces maîtresses de la civilisation, de la vie en société, le rempart contre la barbarie.

Mais tout évolue, décidément. Même le sens du mot « accord ».

Maintenant, « accord » signifie : c’est comme ça et pas autrement. Et surtout on ne discute pas. Quand le père dit à son gosse : « Tu fermes la télé et tu fais tes devoirs, d’accord ? », cela n’est pas : devoirs ou télé, discutons-en. Mais : tu l’éteins cette fichue télé ou tu préfères une torgnole ?

En politique, les choses se passent un peu comme en famille.

« Tu la votes cette foutue loi, d’accord ? » dit le président de parti à un de ses parlementaires réticents. Cela signifie : c’est mon opinion et tu la partages, d’accord ?

Dès son entrée en fonction, le gouvernement Michel-De Wever applique cette nouvelle acception du mot « accord », pour prouver sans doute son extrême modernité – et faireb oublier la nostalgie vintage de deux de ses membres.

Ainsi des institutions culturelles et scientifiques fédérales.

D’un coup de plume, quelque part au milieu d’une nuit de négociations, l’un des Suédois a dû glisser : Ma femme me traîne toujours à l’opéra, moi qui déteste ça. D’abord, à l’entracte, il y a tant de monde qu’il n’y a jamais moyen d’atteindre le bar ! Et on leur donne du pognon ? a demandé un autre. Quelqu’un est intervenu. Attendez, c’est l’un des opéras les plus prestigieux du monde. On va pas discuter de la Castafiore jusqu’au petit matin, a conclu le chef négociateur. Plus de money pour la Monnaie, d’accord ?

C’est comme le Musée d’histoire naturelle, a enchaîné une Suédoise. Quelle galère ! Mes enfants m’ont cassé les pieds. Ils voulaient voir les dinosaures. Aucun intérêt, il n’y a rien que des os. Est-ce que c’est vraiment un spectacle pour les enfants ? Supprimons les doubles emplois ! Tout de même, est intervenu un type au bout de la table. Nos chercheurs sont parmi les plus… On supprime ce bête musée, d’accord ? a coupé le chef négociateur.

Et la Bibliothèque royale ? A quoi bon entasser tant de papiers à l’heure d’internet ? Quand Google aura numérisé tous les livres, son fonds ne vaudra plus un clou. Autant s’en débarrasser avant. C’est notre mémoire ! s’est écrié un vieux birbe. On a drôlement avancé cette nuit, a conclu le chef négo. On a supprimé la culture et la science. Avec ménagement, a murmuré son conseiller. Ces artistes ont des copains journalistes. Bon. 30 % de moins sur leur budget, d’accord ? Et les Suédois sont passés au point suivant.

Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver, d’accord ?

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LES AFFAIRES REPRENNENT

Dans le monde, les bourses jouent au yo-yo. Et en Belgique, les affaires reprennent.

Vous me direz que ce ne sont jamais que les bonnes affaires des PS liégeois et carolo ? Erreur, c’est bien plus que ça : les premiers signes d’une fumée blanche après deux ans de crise. La renaissance d’une région qui gagne. Wallonie, la niaque !

La preuve ? D’abord, si on accuse des mandataires de s’être largement servi dans la caisse (mais ils sont présumés innocents), c’est que la caisse n’était pas vide. Enfin, un effet du plan Marshall ?

Ensuite, il a fallu des années à la justice pour instruire ces affaires, démêler l’écheveau que des dénonciateurs anonymes mais drôlement bien informés leur avaient soigneusement décortiqué, preuve que leurs initiateurs ont déployé des trésors d’ingénérie.

Voilà l’enseignement positif de cette histoire : il existe une science du managing wallon.

Dans les époques primitives, les politiciens se contentaient d’une enveloppe qu’on leur mettait en poche et dont ils dépensaient le contenu en payant en noir l’imprimeur et le traiteur qui préparait le poulet-compote des soirées de campagne. Une fois les menus frais dépensés et quelques amis arrosés, il leur restait à peine de quoi payer les études en révisorat d’entreprises de leur fiston.

Maintenant, les présumés innocents travaillent sur une toute autre échelle : avec sociétés écrans, comptes étrangers et toutes sortes de détours, qui démontrent qu’à l’ère du capitalisme sauvage, les Wallons sont devenus aussi habiles que la plupart des autres peuples de la planète (lesquels sont eux aussi présumés innocents).

Grâce à nos nouveaux politiciens, les services publics et notamment les intercommunales ne servent plus bêtement les citoyens mais ils sont là pour faire de l’argent.

C’est la preuve du dynamisme des jeunes pousses du socialisme wallon. On craignait qu’après la retraite ou la mise à l’écart de leurs glorieux aînés, si hauts en couleurs, les nouveaux politiciens ne soient plus que de tristes bureaucrates, de ternes experts, le nez sur les chiffres toujours plus décevants des affaires du pays, des gagne-petit de la politique qui comptent un à un les sous de leurs concitoyens. Grâce à la justice, on est soulagé que nos nouveaux dirigeants soient aussi audacieux que leurs pairs mais encore plus inventifs.

L’éclatement soudain de ces affaires intervient juste au moment de la formation du nouveau gouvernement. Un complot ? Mais non, le signal de la fin de ce long interrègne de plus de cinq cents jours pendant lesquels la Belgique restait figée : pas de dirigeants, pas de nouveaux impôts, pas de lois scélérates. Mais pas non plus de scandales politico-financiers.

Le signal que, comme le promet la nouvelle équipe, les affaires reprennent et que la crise est finie.

 

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