DIVINE IDYLLE

Depuis trois semaines, je suis malade. Obsédé par une chansonnette insipide, « Divine Idylle», entendue un dimanche matin à la radio juste avant la messe.
Comprenez-moi bien, docteur. Je suis tout aussi indifférent à la plastique de Vanessa Paradis, à son côté poupée triste qu’à sa voix pastille Valda. Rien chez elle ne me fait vibrer. C’est la Inge Vervotte de la chanson française. Pourtant, depuis ce dimanche maudit, je ne passe plus un jour, plus une heure sans siffloter entre mes dents cette stupide Idylle.
Avant de vous consulter, j’ai essayé de me guérir moi-même. J’ai d’abord écouté Léo Ferré en boucle, certain qu’il me ferait oublier Vanessa dont il a les mêmes dents, un peu écartées à l’avant. Mais «Jolie môme » m’a ramené à l’enfer de Paradis. J’ai tenté alors de soigner le mal par le mal et sorti mon vieux coffret Brel mais aux premières notes des « Flamingants » j’ai compris qu’il était temps de changer de disque, d’époque et de valeurs.
Voyant mon état, un ami m’a conseillé la musique planante. Au bout d’une demi-heure, je me suis endormi en rêvant de « Divine Idylle » accompagné à la cithare.
Le jazz, le rock, le punk, le house, je m’en suis mis plein les oreilles. J’ai emprunté le MP 3 de mon petit voisin pour que la musique – ou le bruit- me pénètre directement dans le cerveau. Rien à faire. J’avais beau me noyer sous les décibels, le filet de voix de la Vanessa revenait aussitôt. J’ai même acheté un CD de Carla Bruni pensant qu’une voix insipide chasserait l’autre. Pensez-vous ! Carla était si inaudible que je me suis mis à chanter ma scie pour combler le vide. J’ai fini par allumer la télé. Comme tous les jours depuis qu’ils vivent ensemble, Elio et Bart se grimaçaient devant les photographes. Et là, j’ai soudain compris le message que me répétait mon cerveau.
Dans l’espoir docile/tes ailes fragiles/Je te devine/divine idylle.
Evidemment ! C’était la voix de Bart que j’entendais dans la bouche de Vanessa. Débarrassé de sa langue de bois, Bart parlait du fond de son cœur, de ses vrais désirs.
Il suffirait d’un petit rien, peut-être de dix kilos de moins et l’affaire était bouclée
, répondait Elio avec maladresse car ça c’est du Reggiani.
Mon âme idéale/ A la larme fatale/Ma folie, mon envie, ma lubie, mon idylle, reprenait Bart, guéri de ses sarcasmes.
Sous ses airs provocateurs, ses « Vlaanderen boven ! » (pardon, Raymond van het Groenewoud !), Bart tournait la page de son passé. Citant Mitterand (« on change, c’est tout ! »).il abandonnait ses larmes de crocodile sur la tombe de son VNV de grand-père et sur celles du négationniste Karl Dillen, président fondateur du Vlaams Blok. Il aspirait à un avenir nouveau.
Je rêve idylle/Divine idylle/Mon homme idéal.
Allez, Elio, c’est toi !

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GRAND PARDON

On a cru longtemps que le clonetje de Nicolas Sarkozy en Belgique s’appelait Didjé Reynders. Mais, depuis que son ami Nicolas a coulé à pic dans les sondages, le grand bleu a pris prudemment ses distances avec lui. Et on découvre avec surprise que le président français a trouvé un nouvel émule dans notre pays, inattendu, monseigneur Léonard.
Depuis le ravalement de façade du parti de Joëlle Milquet et l’oubli de la référence chrétienne au fronton de sa petite mais coquette boutique, l’archevêque de Malines-Bruxelles ne savait plus à quel sein se vouer. Il a choisi celui de Sarkozy.
Oui, rappelez-vous ce que proclamait le petit Nicolas : jamais je ne demanderai pardon. Pour rien ! Quoi que je fasse ou qu’ait fait la France en métropole ou en Afrique. La pénitence, c’est fi-ni !
L’évêque de Cloyne, secrétaire de trois papes, s’était publiquement repenti de la gestion des faits de pédophilie dans son diocèse irlandais et il avait renoncé à sa charge. Le pape Jean Paul 2 a demandé pardon pour bien des méfaits de l’église, l’Inquisition, l’antisémitisme et beaucoup d’autres dont on ne savait pas qu’elle en était responsable. Même Benoit XVI a présenté ses excuses pour les crimes pédophiles lors d’une messe sur la place Saint Pierre en juin dernier – avant que le scandale belge ne soit connu.
Avec monseigneur Léonard, changement de cap, révolution copernicienne. L’église de Belgique fait sécession – c’est à la mode chez nous. La politique de Rome n’est plus en odeur de sainteté à Bruxelles-Malines. Désormais, c’est Sarkozy le guide suprême. La pénitence, c’est fin-ni !
Le président français a compris que demander pardon, c’est reconnaître une faute, transformer le statut de plaignant en celui de victime. Avec pour conséquence l’obligation de les indemniser. L’église américaine en sait quelque chose qui, paraît-il, n’aurait plus que ses yeux pour pleurer vu le nombre de pédophiles qui hantaient ses rangs.
Certes, l’église belge est plus à l’aise : tant que le pays n’est pas scindé, elle dépend du contribuable. Mais il faudra un gros effort de communication pour que le citoyen considère comme un devoir civique de couvrir par ses impôts (ou une contribution spéciale de crise ?) les dommages et intérêts dus aux victimes des curés pédophiles alors qu’un chèque de vingt cinq milliards va arriver à échéance un de ces jours et que plus personne ne semble avoir envie de gérer les affaires de notre état.
Reste à l’église à revenir à ses origines : la religion juive fête aujourd’hui le jour du grand pardon (Yom Kippour), on efface toutes les fautes de l’année précédente et on repart à zéro. Mais cela suppose hélas qu’on éprouve une sincère repentance, c’est-a-dire qu’on avoue ses mauvaises actions et qu’on les regrette.

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CARNAVAL BRUXELLOIS

Je n’ai rien à refuser à tante Laurette et à tonton Moureaux. Puisqu’ils frétillent tant à l’idée de passer de chefs de patrouille à califeke de village, allons-y ! Scindons ! Et au diable l’avarice ! République wallonne et royaume de Bruxelles.
Une fois l’indépendance proclamée, on nous promet la fête de Berchem-Saint-Agathe à Boitsfort – en tout cas, pendant quelques jours. Avec tante Laurette et Flupke moustache en rois du carnaval. Tout un programme. Car pour le reste, une fois les lampions éteints, les lendemains ne chanteront plus autant.
On voit mal Olivier Maingain mettre un genou à terre devant le trône de Leurs Nouvelles Excellences. Et Joëlle Milquet se transformer en madame Oui pour jouer la dame de compagnie de la nouvelle reine.
Alors, de scission en scission, le royaumeke de Bruxelles deviendra vite dix-neuf royaumetjes de hameaux.
Dix-neuf que dis-je ? Haren, Neder-over-Heembeek, Laeken, Watermael reprendront à leur tour leur liberté. Et le quartier Louise tirera aussitôt sa révérence. Plus question de payer pour les bouseux de la rue Haute. Halte aux transferts nord-sud de Bruxelles !
Le roi de Saint-Josse interdira aux troupes de l’empereur de Schaerbeek de pénétrer sur son micro-territoire sans acquitter un droit de passage en monnaie locale. Le prince de Koekelberg limitera le passage vers la république flamande et le parc à caravanes de Blankenberge sans un blanc-seing du duce De Wever et un certificat linguistique réservé à ceux qui auront pu prononcer correctement au check point le célèbre « Des gilden vriend ? »
Reste que le régime de protection des minorités que Bruxelles a voulu adopter pour montrer l’exemple à la Flandre tournera vite à la cacophonie.
Comme il y a cent vingt nationalités dans l’agglomération, il faudra traduire les documents administratifs en autant de langues. Certes, grâce à la circulaire Peeters, finalement transposée en droit bruxellois, les documents ne sont envoyés dans une autre langue que sur demande. Reste que les plaques de rue auront désormais trois mètres de haut et les noms des stations de métro deviendront un vrai casse-tête.
Et que fera-t-on de tous ces bâtiments fédéraux désormais vides ? Le Palais de Justice pourra servir de centre d’accueil pour les réfugiés venus des nouvelles républiques voisines. Mais le parlement, 1’hôtel du premier ministre, la banque nationale, les palais de l’ancien roi ?
On pourra créer un musée de l’ancienne Belgique pour touristes wallons et flamands. Mais dans les autres bâtiments abandonnés ? Il faudra imaginer autre chose. Des institutions de coordination entre les nouvelles républiques qui pourraient par la suite être simplifiées, fusionnées et former somme toute un nouveau pays, un royaume par exemple.

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PLAN B

Est-ce l’influence du principe de précaution ? Un homme politique sans plan B, c’est un fonctionnaire sans parapluie, une boucherie sans os, ma maman sans sa boîte d’aspirine et la photo de son fils adoré.
Pas besoin que le plan B soit très différent du plan A. Il suffit qu’il existe pour rassurer le citoyen sur les capacités du politicien à sauver la planète, la Belgique, sa pension et ses petites économies.
Ainsi, d’après ce qui filtre des négociations gouvernementales, le plan A de monsieur Di Rupo signifie Autonomie de la Flandre, le plan B, aussi mais traduit en anglais: Boom for Belgium !
Comptons sur l’imagination de notre pré-formateur pour avoir gardé en réserve un plan C comme chaos (en néerlandais, plan K.O.) et un plan D comme De Wever, un projet qui prend beaucoup de place mais reste étrangement vide.
La mise sur pied d’une « révolution copernicienne » suppose la collaboration des journalistes et des télés. Le plan media A de toute bonne discussion politique signifie Abonnés absents. On négocie en silence et en paix vu que les lecteurs et les téléspectateurs (qu’on appelle aussi « citoyens » mais seulement une fois tous les quatre ans) sont en train de manger des gaufres chez Siska car sur la plage c’est tempête, tonnerre et feu de Dieu (étrange miroir du conclave pré-gouvernemental).
Le plan B, c’est le blabla qu’on se sent obligé de déverser devant micros et caméras depuis quelques jours parce qu’avec la rentrée, les gens commencent à se demander ce que l’on a fait de leurs votes depuis deux mois et les contribuables ce qu’on va faire de leur argent d’ici peu.
Pendant ce temps, Charles Picqué qui a réfléchi pour son président de parti à l’avenir de la région bruxelloise, lui a soumis un plan A comme argent, un B comme blé, un C comme capital, un D comme douiller, un F comme fric, un G comme galette, un K comme kopecks, un P comme pèze, un O comme oseille, un P comme picaillons et s’il le faut un plan R comme radis, qui n’est pas grand-chose mais mieux que rien.
Qu’on cesse de prétendre que Picqué est brouillon, passif et inefficace. Vingt six plans différents soumis au pré-formateur, c’est vingt-cinq de plus que Bart De Wever !
Et l’opposition ? On ne l’a pas beaucoup entendue depuis la torgnole qu’elle a reçue en juin dernier. Mais elle aussi travaille. Le plan A de Didier Reynders est de s’accrocher et le plan B de ne pas se laisser bousculer par tous ceux qui lorgnent sa place. Et l’avenir de la Belgique, demanderez-vous ? Didjé s’en occupe, croyez-le, puisqu’au train où vont les choses, il pourrait continuer à gouverner jusqu’aux prochaines élections sans même un parlement pour l’enquiquiner.

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BART AU CONGO

30 juin 2030

L’arrivée du roi Bart 1er à Kinshasa est saluée par la presse comme le premier signe du réchauffement des relations entre la Belgique et le Congo depuis le remplacement à la tête de notre pays des Saxe-Cobourg par les De Wever.
Officiellement, cette visite coïncide avec l’entrée en lice des Diables rouges en Coupe du Monde de football, organisée cette année par le Congo à l’occasion du septantième anniversaire de l’indépendance. C’est la première fois depuis 2002 que des footballeurs belges participent à nouveau à la prestigieuse compétition. Réjouissons-nous plutôt que d’écouter les mauvaises langues qui murmurent que les performances de nos joueurs sont la meilleure vitrine pour la qualité de nos laboratoires pharmaceutiques. Et saluons Paul Van Himst et Jean-Marie Pfaff qui ont réussi malgré leur âge à sortir notre pauvre pays de la léthargie dans laquelle leurs médiocres descendants les avaient plongés.
Mais la véritable raison du voyage du roi est plus politique que sportive. Bart 1er veut négocier avec le président Barak Kabila junior l’extradition vers la Belgique de son ancien premier ministre Elio Di Rupo et de son complice Yves Leterme, réfugiés au Congo depuis leur tentative de putsch.
On se souvient que les deux politiciens avaient échappé de peu à l’arrestation après leur condamnation pour atteinte à l’unité du pays et injure envers le chef de l’état par la Cour de sûreté de l’état présidée par Armand De Decker. Et qu’ils avaient réussi à gagner notre ancienne colonie qui leur avait accordé le statut de réfugié politique (après une pénible attente de deux ans dans le centre fermé de N’Dijili).
Lorsqu’il était monté sur le trône, le roi Bart 1er avait supprimé les régions, élargi Bruxelles à l’ensemble de la province de Brabant en déclarant lors de son grand discours dans le stade Karel Dillen que la confédéralisation du pays n’avait été « qu’une étape nécessaire mais dépassée dans le redressement économique de la Belgique » et qu’il était temps que « les régions s’évaporent dans la Belgique réunifiée afin d’atteindre la dimension nécessaire dans l’Europe de demain. »
« Vive la Belgique ! » avait-il conclu.
« Vive la république ! » avait crié le sénateur libéral Louis Michel, vite maîtrisé.
Les deux anciens premiers ministres belges avaient eux aussi réagi de façon violente. Conspirant contre le nouveau roi, pourtant soutenu par la majorité de la population, ils avaient créé la Nouvelle Alliance Wallonie-Flandre, la N-VAW, avec pour programme l’éclatement du pays et l’indépendance de ses trois anciennes régions.
Heureusement, le roi Bart 1er avait mis fin à leur agitation et ordonné l’interdiction de tout parti séparatiste, anti-belge ou anti-royaliste.
On ne doute pas que l’amitié retrouvée entre Bart et Kabila jr permettra de mettre un poing final à l’escapade désespérée de ces deux terroristes.

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PRIX EMILE BERNHEIM

« Alain Berenboom a reçu ce 19 mai 2010 le prestigieux prix EMILE BERNHEIM décerné au meilleur roman belge 2009 par l’Académie royale de langue et de littérature française et la Fondation Emile Bernheim pour son roman LE ROI du CONGO ».

IL ETAIT UNE FOIS ELIO ET BART

Ce jour-là, le petit chaperon rouge s’en allait tout guilleret dans la forêt rejoindre son oncle qui, lui avait-on dit, vivait dans une maison-forteresse, au milieu de ses chiens.
On lui avait toujours caché l’existence de cet oncle, qui avait mauvaise réputation. Paraît qu’il lâchait des insanités et crachait à table. Quand le grand-père était tombé malade, l’avait refusé de payer son obole comme le reste de la famille. Mon argent, c’est pour moi et mes chiens ! il avait répondu avant de s’enfermer dans son bunker. Les mauvaises langues chuchotaient même que des cadavres pourrissaient dans son placard depuis la dernière guerre.
Mais tout ça, pensait le p’tit chaperon rouge, c’est de l’histoire ancienne. Maintenant qu’il était devenu lui aussi grand et fort, il se sentait prêt à le rencontrer et, qui sait, à le ramener au sein de la famille. L’avait un côté un peu missionnaire, le p’tit chaperon rouge, toujours à vouloir faire le bien autour de lui. Il se disait aussi que l’oncle ne devait pas être aussi méchant que le prétendait son entourage. On exagère toujours les défauts de ceux avec lesquels on ne parle pas. Il n’avait pas peur, le p’tit chaperon rouge. C’était pas une oie blanche comme dans les histoires pour enfants. Les coups, il en avait pris et il en avait donné. Demandez à Didgé l’amer, la terreur du village, qu’il venait de laisser K.O. sur le carreau.
Mais, dès qu’il pénétra dans la forêt, le p’tit chaperon rouge n’en mena plus aussi large. Les arbres ne ressemblaient pas à ceux de son village. On aurait dit des plantes carnivores qui grognaient à son passage. Sur le chemin, il avait croisé des maçons qui lui avaient conseillé de retourner sur ses pas tant qu’il était encore temps. Ils étaient chargés de construire un grand mur pour protéger la forêt de toute invasion extérieure.
Quand il aperçut enfin une lueur près d’une clairière, il devina qu’il n’était plus très loin.
Son oncle – ce devait être lui- l’attendait sur le pas de la porte. Un homme gigantesque dont les bras ressemblaient à des jambons et les yeux à des œufs sur le plat.
En le voyant s’avancer vers lui, l’oncle hocha la tête.
« Ainsi, c’est toi mon neveu ? Je ne t’imaginais pas tout à fait comme ça. Toi non plus sans doute. Dis-moi, trouves-tu que je ressemble à un monstre ?
– Nooon, murmura le p’tit chaperon rouge. Tout de même, tu as une grande bouche…
– Ca, c’est pour mieux chanter la Brabançonne, mon enfant.
– Et de grands pieds…
– Ca, c’est pour mieux botter le cul de ceux qui tentent de s’établir dans ma forêt.
– Et de grands yeux…
– C’est pour mieux t’hypnotiser, mon enfant.
– C’est vrai, je me sens tout drôle…
– C’est parce que tu as compris que je vais te manger, mon enfant…

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LA NUIT DES LONGS COUTEAUX

Demain matin, on vote. Et demain soir ? On s’étripe.
Une fois les assesseurs rassasiés et les urnes bourrées (à moins que ce ne soit le contraire), sonne l’heure des comptes. Des règlements de compte. En coulisses et après le spectacle.
Car on assistera d’abord au ballet des vaincus qui, la bouche en cul de poule, proclameront tous leur satisfaction, la mine candide: « Je ne m’attendais pas à ce que mon parti résiste aussi bien » ou « Regardez, nous avons même progressé dans le canton de Thuin ».
Ceux qui auront vraiment pris un coup de boule s’écrieront encore : « Les sondages nous prédisaient un cataclysme; or, voyez, c’est juste une légère brise ». N’oublions pas non plus la formule : « Soyons clairs (!) En ces temps difficiles, c’est encore un miracle d’avoir reçu une telle confiance des électeurs que je remercie ».
Mais les spots éteints et les journalistes disparus, commencera la nuit des longs couteaux. Ceux qui auront mené leurs partis à la défaite seront impitoyablement condamnés à la décapitation. Adieu, monde cruel ! Il n’y a pas de pitié en politique. Il n’y a que des vainqueurs et des morts. Si on s’étonne parfois du retour d’une ancienne gloire, on en parle comme d’un revenant. Dont la tentative de reprendre pied dans le monde des vivants est vouée à l’échec. On a vu le sort de Jean-Luc Dehaene quand il a osé agiter son suaire. Le Belge sortant du tombeau ? C’est de l’histoire ancienne.
On imagine que les plus jeunes, déjà promis aux gémonies, s’accrocheront au bois de l’échafaud. Marianne Thyssen ou Alexander De Croo auront beau jeu de plaider qu’ils viennent à peine d’arriver et que leurs prédécesseurs leur avaient savonné la planche. Bénéficieront-ils du sursis ? Ce n’est pas sûr. On ne fait plus comme jadis de vieux os en politique. C’est comme sur les routes, on y meurt de plus en plus jeune. Qui se rappelle encore du sémillant Steve Steyvaert, qui n’a fait qu’un petit tour avant de disparaître ? De Maria Arena tué dans sa douche ? Ou de Daniel Ducarme que la décision de changer le nom du parti (le PD) a suffi à ébranler…
Le sort du vainqueur est-il plus enviable ? Le soir même, c’est l’euphorie. Champagne (pour la boisson, on n’hésite pas à choisir le français) ! Mais, le bref moment de gloire passé, c’est déjà fini. Obligé de se mettre aux affaires, le vainqueur ne peut gérer que la déception de ses électeurs pour les promesses qu’il n’a pu tenir et celle de ses proches pour les postes qu’il ne peut leur offrir.
Il se souviendra alors de l’avertissement lancé un jour par le francophone V. Horta à son collègue (et ennemi) flamand H. Van de Velde : « Prenez garde. Un jour, on est vedette. Le lendemain, cuvette de cabinet »…

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ARC EN CIEL

On dit qu’en cherchant un peu au pied d’un arc en ciel, on trouve un pot d’or. Pourquoi la Wallonie n’y a-t-elle pas pensé plus tôt ? Les Sud-Africains, qui croient davantage que nous dans les contes et les rêves, n’ont pas seulement trouvé de l’or mais aussi des diamants, de l’uranium et même de l’antimoine (un excellent contrepoison aux déclarations de Benoit XVI sur le sida.)
Et, dans quelques jours, ils vont aussi décrocher la timbale avec le mondial de football. Alors que nous, on n’a rien trouvé de mieux que de faire revenir Conceiçao au Standard.
Faut dire que question castagne, on n’a rien à apprendre aux sud Africains. Si on peut se vanter de la guerre de la marmite à la fin du dix-huitième siècle et de celle du fritkot de la place Flagey, eux peuvent afficher les guerres des Boers, les guerres des cafres, les guerres des Zoulous. Excusez du peu. Même la tentative de rattachement à Bruxelles des six communes à facilités ne peut être comparée au rattachement forcé du Transvaal et de l’état libre d’Orange à l’Union. Dans nos communes, on parle français, dans les leurs, une espèce de néerlandais…
Il y a tout de même un truc en Afrique du sud dont on ferait bien de s’inspirer : la commission Vérité et Réconciliation, créée à la fin de l’apartheid. Une belle invention dans le genre judéo-chrétien: celui qui reconnaît publiquement ses torts reçoit un petit chocolat. Un peu comme si on offrait à Bart De Wever le poste de premier ministre après qu’il ait renoncé au confédéralisme, à la circulaire Peeters, au Wooncode et signé lui-même la convocation en français des électeurs de Linkebeek.
Grâce à une commission de réconciliation belge, on verrait défiler devant les écrans enfin réunifiés de la RTBF et de la VRT l’ensemble des hommes et femmes politiques qui ont plongé notre doux pays dans le coma. On entendra la confession d’Elio sur ses croche-pieds à Louis Michel, de Louis Michel à propos des boules puantes lancées dans le bureau de Didier Reynders.
Hélas, la confession publique et télévisée paraît très difficile à importer chez nous. Jean-Michel Javaux n’avoue ses turpitudes qu’à monseigneur Léonard, au « Soir » et à « La Dernière Heure ». Quant aux autres, comme ils le répètent chaque jour, ils n’ont jamais eu tort, jamais dit de bêtises, jamais fait de conneries. Sauf Joëlle Milquet qui était prête à parler mais qui ne veut pas perturber ses enfants.
Reste à espérer que l’on découvre bientôt, dans notre nouveau parlement, qui sait ? des hommes et des femmes de la stature de Helen Zille, de Desmond Tutu ou de Nelson Mandela…

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STAR WARS

Pendant longtemps, les francophones ont observé avec un peu d’ahurissement les tourbillons du paysage politique flamand, tel Tintin guettant l’Etoile mystérieuse dans la lunette du professeur Kalys. La création d’astéroïdes issus du Big Bang de la Volksunie puis leur attraction par les grandes planètes qui passaient à leur proximité, le morcellement de la droite populiste et autonomiste en autant de nouvelles comètes, l’apparition à chaque élection de nouvelles étoiles suivie de leur disparition tout aussi rapide dans le grand noir interstellaire, le changement d’identité des partis traditionnels ainsi que le yo-yo de leurs programmes et de leurs scores électoraux, tout cela avait de quoi donner le vertige. Le scénario de ce feuilleton semblait aussi incompréhensible que le premier épisode de « Star Wars » en version moldave. Mais les francophones se consolaient de l’absence de sous-titre en pensant, avec une certaine condescendance, être à l’abri de ce maelstrom, grâce à quatre partis stables, des électeurs fidèles et obéissants à leurs maîtres et une extrême droite bloquée dans le vide sidéral.
Or, voilà que le paysage politique wallon connaît à son tour de violentes bourrasques.
Cela a commencé par la volonté de l’astéroïde FDF, qui tournait paisiblement autour de Bruxelles depuis plus de quarante ans, de sortir de son axe pour affronter la galaxie wallonne au nez et à la barbe de la nébuleuse libérale. Puis l’apparition à sa droite, venant de la face la plus sombre de l’univers, du Parti Populaire. Dont l’électorat semble aussi « populaire » que celui de l’extrême droite est « socialiste ». Et dont la force d’attraction risque d’être aussi faible.
Ce qui a surtout bousculé la valse des planètes en Wallonie, c’est le « scoop » de la Libre Belgique, annonçant le projet de trois jeunes astronautes, Charles Michel, Melchior Wathelet junior et Jean-Michel Javaux d’unir leurs vaisseaux pour en faire une grande station spatiale humanisto-liberalo-écologique. Sur grand écran et en 3 D.
Un nouvel « Avatar » ?
Une déclaration de guerre de Mars à la planète Terre ?
En tout cas, l’affaire a fait l’effet d’un météorite s’écrasant sur Charleroi.
Au point que les trois « amis » se sont empressés de démentir l’information. Ou plutôt, ils se sont contorsionnés pour expliquer que s’ils avaient évoqué ce scénario de politique-fiction, c’était dans le cadre d’une rencontre détendue autour d’un Baby Foot. Rassurez-vous. Il n’y a rien à voir. Juste une blague d’étudiant autour d’un verre un soir de Saint Verhaegen.
Hélas pour eux, nier l’affaire était impossible. Tout ce qui se passe à l’intérieur d’un vaisseau spatial est filmé et les micros sont ouverts. Des photographes avaient immortalisé la grande scène où les trois maladroits se donnaient la main. Et plusieurs témoins affirment avoir entendu la discussion. Difficile dans ces conditions de prétendre que les journalistes ont menti ou imaginé un poisson d’avril avec un mois de retard.  
« Allo, Houston ? We have a problem… »
Pour leur malheur, un E.T. assistait à la rencontre historique. L’ineffable Michel Daerden, ce jour-là quatrième partenaire de Kicker des trois Martiens. Un type qui n’est pas du genre à se taire. Au contraire, on le voit bien raconter à ses compagnons de bistrot l’incroyable dialogue entre les trois audacieux.
Car le ministre démissionnaire des Pensions ne s’était pas joint à l’utopie. Même si l’alcool coule à flots, Michel Daerden a toujours affirmé qu’il n’est jamais ivre.
En est-il de même de ses trois partenaires de jeu ? S’ils ont essayé de le battre sur ce terrain, on comprend mieux la mouche qui les a piqués.
Reste que ce projet redessine complètement la voie lactée : un morceau du parti libéral (l’aile centre gauche), un morceau des démocrates humanistes ex-chrétiens et la tendance centre droit chrétienne des écolos. Le vieux rêve wallon d’un bloc de droite traversant l’inamovible barrière socialiste.
Le seul problème est que si l’univers est en perpétuel expansion, le nombre des électeurs wallons ne l’est pas. Et qu’ils ne sont pas du genre aventureux. Déjà aller travailler en Flandre, c’est pour beaucoup d’entre eux passer dans une autre dimension. Alors, les convaincre d’embarquer pour la Lune, c’est mission impossible….

Alain Berenboom