NOCES CHEZ LES PETITS BOURGEOIS

chronique
Vous imaginez combien de familles va nourrir la noce annoncée de monsieur Mittal et de madame Arcelor ? Des bataillons d’avocats, des régiments d’experts, secrétaires, porteurs de plis urgents, publicitaires, financiers, agents de change, traiteurs, restaurateurs, hôteliers, taximen, chargés de communication, journalistes, avionneurs, imprimeurs, diseuses de bonne aventure, sans compter les actionnaires qui regardent les $ s’afficher chaque jour comme sur les machines à sous dans les couloirs des hôtels de Las Vegas.
Le meilleur dans le mariage, comme dans l’amour, ce sont les préliminaires, les premiers mots, la découverte de l’horoscope des futurs époux, le ballet de la séduction, la première valse où l’on se mesure du regard, en faisant semblant de faire de l’œil à un autre. Tu veux ? tu veux pas ? Monsieur Mittal-madame Arcelor, c’est Ginger Rogers et Fred Astaire dans « Top Hat », James Stewart et Margaret Sullavan dans « Shop around the corner ». Le script est sans surprises : ennemis au début du film, ils tomberont dans les bras l’un de l’autre à la fin, baignés par le champagne et le glamour. Chacun commence par flirter avec un autre, jouer avec les nerfs de son partenaire. Puis, les amants se rapprocheront peu à peu en faisant semblant de se détester. Un numéro de claquettes pour montrer qui porte la culotte. Enfin, les épousailles, le happy end. La noce à la lueur des hauts fourneaux.
Mais, la fête terminée, les derniers lampions éteints, vient la note des avocats, experts, diseuses de bonne aventure et des autres. Pour se faire un peu de trésorerie, les époux vont revendre quelques sites, licencier quelques travailleurs, éteindre quelques outils. Aucun de ceux qui ont été conviés à la noce n’a jamais approché un haut fourneau, n’imagine le bruit, la chaleur, l’odeur, la peur. Là, vivent ceux qui ne seront jamais invités aux agapes, qui ne font partie ni de la suite de monsieur Mittal ni de la famille de madame Arcelor, les ouvriers, les travailleurs, tous ceux qui ont donné leur jeunesse, leur énergie, leur talent, parfois leur vie et leurs enfants pour faire briller les bijoux de famille des futurs époux. L’envol du cours des actions, le fric dépensé en communication et en consultations ne s’ajoutera jamais à leur feuille de paie. Au contraire, cette addition de dépenses somptuaires, ce sont eux qui vont la régler. Alors, au moment de lever le verre et de célébrer l’échange des consentements, ayons une petite pensée pour eux.

Alain Berenboom

P.S. : Douze belles histoires de couples, traitées au scalpel, simples et magnifiques, l’humour en prime, par l’Américaine Kathryn Chetkovich, « En cas d’urgence » (Bernard Pascuito, éditeur).

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