LE PETIT CHEMIN QUI SENT LA NOISETTE

chronique
Lu dans la Petite Gazette du 15 mars dernier : « Au cours d’une balade à vélo, une habitante de Thibodaux, en Louisiane, a découvert par hasard sur un tas d’ordures une édition d’époque en 17 volumes des « Misérables » contenant ce qui semble bien être un mot d’amour et une note personnelle, écrits de la main même de Victor Hugo. »
Cette dépêche de l’agence A.P. me hante. Depuis, ma vision du monde a basculé. Ainsi que mes certitudes. J’ai toujours pensé qu’il y a une explication à tout. Et que les gazettes me la fourniront presto. Or, l’affaire de la vélocipédiste de Thibodaux remet les pendules à l’heure : rien que des questions sans réponse.
D’abord, celle-ci : comment une dame circulant à vélo le long de la décharge publique a-t-elle réussi au passage à apercevoir dans le tas d’ordures entre un frigo abandonné, deux vieux matelas, des tas de canettes, les débris d’un moteur et des matières molles non identifiées, dix-sept volumes de Victor Hugo ?
Autre mystère : La ville de Thibodaux est renommée pour le magnifique bayou qui l’arrose, le bayou Lafourche, que les touristes viennent admirer de partout. Les promeneurs peuvent aussi parcourir les kilomètres de sentiers du parc Peltier. Pourquoi donc une énigmatique vélocipédiste a-t-elle préféré hanter le dépôt d’immondices plutôt que de flâner le long des petits chemins qui sentent bon la noisette?
Et cette touche finale : le livre contient « ce qui semble être » un mot de la main de Victor Hugo. Qu’est-ce que ça veut dire ? Le « mot » est-il d’Hugo ou pas ? Qui va trancher ? Et surtout, quel est ce mot ?
Cette interrogation encore : pourquoi une habitante de Thibodaux a-t-elle songé à charger sur son porte-bagages dix-sept volumes d’un ouvrage rédigé dans une langue qu’elle ne comprend pas (même le site officiel de la ville est uniquement en anglais) ?
Qui parle encore français dans les bayous de la Louisiane, sinon les centenaires ? Y a-t-il des mamies centenaires cyclistes à Thibodaux ?
Cette affaire simple est décidément beaucoup plus embrouillée qu’il ne paraît à la première lecture. Or, personne ne l’a décodée. Que faut-il alors penser des niouzes apparemment plus complexes que la presse nous déverse heure après heure ? Agissements des mouvements palestiniens ou de l’armée israélienne, chaos irakien, rodomontades de Chavez au Vénézuela, influence supposée des religieux sur la politique américaine, position de la fédération socialiste de Charleroi sur les paris chinois, dessous des prix littéraires et ceux des belles dames, j’en passe et de plus byzantines. Trente ans après, Dutronc aurait-il toujours raison ? On nous cache tout, on ne nous dit rien.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR